Autoproduction
04/10/2019
Les
apparences sont parfois trompeuses, et, pour ce qui concerne un album
ou un groupe, l’on peut très vite faire fausse route, comme c’est
le cas avec cette pochette d’album, ou bien encore le nom du
groupe, qui nous renvoie au folklore français, et incidemment à
quelque chose évoluant dans le registre du black metal, ce qui est
le cas pour les deux autres formations recensées partageant le même
nom. Pourtant, dès les premiers arpèges du titre Dawntreader, l’on
sait pertinemment la provenance géographique de Gévaudan,
déroutante si l’on s’en tient strictement à son patronyme:
l’Angleterre. C’est tellement une évidence et c’est quelque
chose qui sera tenace sur l’entièreté de ces quelques cinquante
trois minutes. S’il aura fallu six années au quatuor, depuis sa
création en deux mille treize, pour sortir ce premier album, Iter,
il a toutefois publié deux EP auparavant, qui laissaient déjà
entrevoir leur personnalité. Un tempérament qui sera clairement
affirmé sur cet album bien construit et généreux en moments forts.
À
l’instar de cette pochette aux tons gris dominants, c’est aussi
un camaïeu de ces tonalités que nous dévoilent les Anglais sur ces
cinq titres. Si je persiste à vous indiquer que ce groupe sonne on
ne peut plus conforme à ce que l’on attend d’une formation
provenant de ces terres c’est qu’il pratique un doom metal assez
classique, faisant toutefois le pont entre classicisme et modernité.
L’on parle bien d’un groupe qui aura puisé ses influences aussi
bien chez un My Dying Bride, dans cette fatalité plombante et dans
cette manière de proposer ses riffs de guitares, - le riff principal
de Maelstrom ayant quelques similitudes avec celui du titre Sear Me
-, mais, et surtout même, chez un Tefra, un Unsilence et bien
évidemment chez un Warning. L’on retrouve ici ce côté très
poignant, aussi bien dans le chant d’Adam Pirmohamed,
que dans ces mélodies et ces quelques harmonisations. Les deux
premiers titres sont d’ailleurs de beaux exemples de mélancolie et
de tristesse, tout à fait inhérentes au genre et très communes aux
références suscitées. Le va et vient entre arpèges glaçants, à
vous plomber une belle journée ensoleillée, et riffs plus pesants
sur Dawntreader est un modèle du genre. C’est simple, basique,
mais cela fait toujours son petit effet. C’est aussi le cas de la
première partie du titre Dustwalker, tout en finesse et spleen
déployés. C’est bien en cela que le groupe ne peut nier ses
origines géographiques, montrant ainsi une volonté de prolonger un
certain héritage.
Pour
autant, si l’on pourrait craindre une formation trop scolaire, il y
a toutefois quelques éléments qui penchent en faveur d’une
personnalité affirmée, ou, tout du moins, d’une certaine
modernité. En cela, le groupe maîtrise très bien cette faculté à
faire monter l’intensité au sein de ses compositions, comme sur
Dawntreader, The Great Heathen Army ou Dustwalker. L’on sent ici la
patte d’un Yob, mais un Yob débarrassé de ses effluves
psychédéliques pour les remplacer par quelques choses de plus païen
et de plus tragique dans l’esprit. Bref, un Yob où Mike Scheidt
aurait écouter en boucle The Gathering Wilderness de Primordial.
C’est cela qui fait aussi le particularisme de Gévaudan, et le
rend d’autant plus attachant: ce côté à la fois nostalgique et
tumultueux. Où le riffing répétitif n’en devient que plus
obsédant et profère tout autant de coups de semonces dans un moral
mis en berne devant une certaine vacuité actuelle. C’est quelque
chose qui est assez palpable sur cet album, mais que l’on ressent
surtout sur des titres comme Saints of Blood et Dustwalker, dans ces
instants où après avoir ressassé un certain abattement, le groupe
n’hésite pas à prendre son destin en main et à se montrer plus
incisif et impétueux, pour ne pas dire plus extrême. Ce n’est
guère anodin si ce sont sur ces titres où Adam Pirmohamed
va alterner entre chant clair pleurnichard et growls bien baveux ou
chant saturé quasiment black metal, histoire de bien exprimer une
forme de colère. Si j’avais un peu coincé lors de la découverte
de cet album sur ces passages aux chants saturés, ils prennent
pleinement sens au fil des écoutes, nous offrant d’ailleurs un
final d’album tout en intensité.
Il
est évident que l’on nous joue ici l’homme seul face aux
éléments, mettant à nues ses sentiments, ses ressentis, son
amertume et ses regrets, seul, au bord d’une falaise, sous une
pluie battante, défiant ainsi les éléments et les dieux anciens.
Ce sont toutes ces images qui viennent à l’esprit à l’écoute
de ce premier album, fort réussi, de Gévaudan. Les influences sont
clairement bien digérées, et l’on n’a aucunement un amalgame
mal dégrossi et mal assimilé sur cet opus. Pour autant, le chemin
emprunté ici est tout autant pavé de bonnes intentions qu’il peut
s’avérer tortueux, tant les Anglais savent ici souffler entre
l’incandescent et le glaçant, rappelant un peu, de manière
lointaine, Latitude Egress, avec qui il partage cette même bivalence
entre esprit païen et résigné, mais sans jouer les fiers à bras
ou les braves guerriers indestructibles. L’on n’est évidemment
pas dans ce type d’ambiance ici, mais bien dans une certaine forme
de solennité et de respect pour un passé révolu, qu’il soit réel
ou imaginaire, mais avec les pieds fermement ancrés dans une réalité
toujours aussi déprimante. C’est tout ceci qui se dévoile sur ce
Iter, avec justesse et classe.
A.Cieri
Lien Bandcamp : https://gevaudan.bandcamp.com/album/iter