dimanche 26 mars 2023

Witchthroat Serpent - Trove of Oddities at the Devil's Driveway

Heavy Psych Sounds

03/03/2023



Le désespoir.

S'il y a un mot qui marque la différence - claire depuis le début me concernant, mais dont les différentes critiques au sujet de ce nouvel album demandent visiblement d'encore en parler - entre Witchthroat Serpent et Electric Wizard, c'est bien celui-là. Les Anglais jouent un doom psychédélique référencé et autosatisfait, rappelant les longues soirées à regarder des cassettes d'obscurs films d'horreur rétro ; les Français vivent dans les dites cassettes, leur grain vieillot, leur atmosphère poussiéreuse, la tristesse de leur décor fané et l'implacable sentiment de mort qui habite ses personnages.

Une question d'implication en somme, de suspension d'incrédulité qui devient de plus en plus aisée à ressentir chez eux. Witchthroat Serpent fait ici un pas de plus dans la croyance, se rêve avec plus de force damné d'un village de spectres, dans cette maison des feuilles où les mélodies avancent en dédales, lisibles et difformes, la voix soutenant l'ensemble de sa livide ferveur. 

On y croit, encore un peu plus, au point de se sentir également maudit, dans ce son encore plus lourd et organique, animal presque (il n'y a pas que les pattes qui sont d'éléphant ici). Enivrant aussi, chaque fin d'écoute se terminant comme un déchirement d'un monde où l'on a été placé en apnée. 

Le désespoir, celui qui hante ces lieux mais aussi celui d'un retour à notre triste réalité. Vite, rembobinons !


Cripure


Lien bandcamp : https://heavypsychsoundsrecords.bandcamp.com/album/witchthroat-serpent-trove-of-oddities-at-the-devils-driveway


Slumbering Sun - The Ever-living Fire

Autoproduction

24/02/2023



Un soleil endormi, voilà quelque chose de peu commun, surtout lorsque l’on choisit cette dénomination comme patronyme de groupe. Mais même si l’Astre diurne semble assoupi, l’on a toutefois besoin de son réconfort et de profiter de la chaleur de ses rayons, comme le suggère la pochette de ce premier album de Slumbering Sun. Si le groupe s’est formé il y a à peine un an, il comprend tout de même des musiciens expérimentés, qui ont déjà eu des expériences communes au sein de Destroyer of Light, Monte Luna et Venus Victrix. Autant dire qu’il n’y a rien de surprenant à ce que le quintet enregistre rapidement ce premier album, The Ever-Living Fire, haut en couleurs et démontrant d’une grande maîtrise du propos.


Si Slumbering Sun sonne clairement actuel, mais sans trop d’artifices modernes, il y a toutefois sur ces cinq titres quelque chose d’intemporel, signe d’une formation qui s’est nourrie de ses expériences et de ses multiples influences. L’on a ici une belle démonstration de doom metal, mais dans son acception flirtant avec le stoner. La crainte d’avoir un fan club d’Electric Wizard ou d’adorateurs de têtes d’ampli vintage avec un pedalboard hors de prix s’estompe très rapidement à l’écoute de cet album. Ici l’on sait composer des titres bien ficelés et qui prennent le temps de distiller leurs richesses et leurs surprises. L’on sait surtout proposer de très bons riffs, quelques arpèges poignants, et l’on est tout autant capable de très bien agrémenter ses compositions de très belles harmonisations, leads et soli de toute beauté. Et, cerise sur le gâteau, l’on retrouve souvent des leads jumelées, un savoir faire qui tend malheureusement à se perdre de nos jours. Au final, je retrouve un peu ici cet esprit qui animait les excellents Acrimony, malheureusement oubliés de nos jours, à la fin des années mille neuf cent quatre vingt dix. En tout cas, cette réalisation aurait très bien pu sortir il y a un quart de siècle, sans que cela ne soit choquant. 


Rien d’étonnant à cela, tant les Texans mettent en avant d’autres influences que celles à proprement parlées doom metal. Il y a en effet ici quelque chose qui nous rapproche du grunge, dans ce côté parfois bigger than life, proche d’un Pearl Jam période Ten, ou dans ce côté plus rock et même un peu plus mélancolique, où cela nous rapproche d’un Soundgarden ou d’un Alice In Chains. Cela se ressent sur les instants plus véloces de cet album, comme sur Liminal Bridges ou le titre éponyme, ou sur la première partie de Love In A Fallen World, plus maritime, avec ses parties de chant doublées. Justement, le chant, excellent, de James Clarke, avec sa tessiture de voix assez élastique et bien modulable, y est aussi pour une grande part dans cette impression. Il y a ainsi une coloration plus ambivalente dans la musique, entre le rouge flamboyant et lumineux qui irradie de nombreux passages, et d’autres plus cramoisis et rouillés. L’on navigue ainsi entre ces deux types d’ambiance, entre des moments emplis d’espoir et de poésie, comme si les rayons du soleil venaient irradier des coeurs meurtris, et d’autres plus emprunts d’une trame mélancolique, où un voile triste vient obscurcir les lueurs d’un Phébus déchiré par l’absence de l’être aimé. Des instants où peuvent poindre quelques notes de violon, et je ne peux m’empêcher de penser au Celestial Season, période Chrome et Lunchbox Dialogues. J’y retrouve cette même faculté à diriger nos regards vers les cieux tout en ayant les pieds bien ancrés sur terre, avec les yeux humides.


Si l’ensemble est assez rêveur, et même très beau par instant, il n’en demeure pas moins humain, avec ce petit côté déterministe, qui n’attend plus grand chose de ce monde et qui préfère tourner le soupirail vers le passé ou vers des chimères, ou bien encore, dans tous les cas, de trouver du réconfort ailleurs qu’ici bas. Cela nous donne des moments très poignants sur une bonne partie des compositions, avec cette faculté de faire monter l’intensité à l’instar de la seconde partie de Love In A Fallen World. Impossible de faire l’impasse sur ce Dream Snake, tout autant contemplateur que touchant et où toute l’excellence d’un James Clarke déchiré par tant de sentiments hétéroclites éclate clairement. C’est là où l'on se rend compte que les quelques effluves psychédéliques qui émaillent ces titres, prennent le plus souvent une tournure tantôt lascive, tantôt romanesque; l’on ne provient pas de la ville de 13th Floor Elevators pour rien. C’est même cela qui fait toute la beauté et la richesse de cette très belle réalisation. Il y a ici quelque chose tout à la fois réconfortant et apaisant, mais sans perdre de vue que par moment l’on peut être bouleversé par cette musique et ces paroles. Ce sont ces mêmes ressentis que l’on peut avoir lorsque l’on observe le lever du soleil après une longue nuit d’hiver. Lorsque l’on est partagé entre l’empreinte du temps qui passe avec la nostalgie qui en découle et l’espoir de jours heureux qu’annoncent le retour de la lumière. 


Si Slumbering Sun semble nous indiquer la voie vers la lumière, sans nous recommander de courir après comme le firent Trouble il y a longtemps, l’on ressent ici cette même emphase et cette même propension à délivrer une musique enrichie de moult expériences et qui prend clairement sens au fil des minutes, en nous faisant accepter de tomber pour mieux se relever. L’on a de quoi être assez songeur lorsque l’on fait état de toutes les qualités de ce premier album, tout aussi surprenant qu’obsédant et qui, s’il ne pourra pas nous faire oublier les vicissitudes d’un monde devenu fou, aura au moins le mérite de nous faire prendre un temps d’arrêt et de porter nos regards sur ce qui doit compter le plus. 



https://slumberingsun.bandcamp.com/album/the-ever-living-fire

A.Cieri

vendredi 24 mars 2023

KEN Mode - Null

Arttofact Records 

23/09/2022


Comme pas mal de monde, j'ai passé ma post adolescence à vénérer "Fight Club" et "American Psycho", à m'imaginer subversif dans mes visionnages dépeignant une classe dominante abjecte ou des bonhommes cyniques et violents, petite grenouille fragile se rêvant bœuf en costard ou torse nu, puissant, obscène et impitoyable.

Mais j'en suis heureusement revenu, voyant la stérilité qu'il y a dans cette image rébarbative au possible, sans nuance, moderne mais déjà datée, tapant dans les pires traits de notre personnalité pour en faire un cool qui s'avère fade au possible une fois dépassé son vernis de provocation. 

Surtout, il ne m'est jamais venu à l'esprit de chercher à en faire un disque. C'est malheureusement ce qu'a commis KEN Mode l'année dernière, délaissant son dynamisme si précieux, sa hargne contrastée, souvent sombre mais plus encore vitale, d'une élégance survolant différents sentiments, pour tomber dans les écueils du patchwork de mec dur qui en a. Pas de bol, ce disque d'indus noise rock grimaçant et martelant à qui mieux mieux finit rapidement par devenir agaçant et frimeur, sans grande substance autre que ces phrases clichées telles que "Swans a toujours été une grande influence pour nous" ; "Cet album est né dans la douleur" ; "La noirceur qui nous habitait après la pandémie avait besoin de sortir" ou encore "Nous voulions montrer l'horreur du monde à nos auditeurs"... Las !


Sortir ça la même année que "God's Country" de Chat Pile, autrement plus convaincant dans ses névroses contemporaines... C'est la lose, comme on dit.

Cripure

Lien bandcamp : https://kenmode.bandcamp.com/album/null

dimanche 19 mars 2023

Urfaust - Hoof Tar

Ván Records

20/10/2022




Urfaust est redescendu sur terre. Et après avoir frôlé les infinités sombres du cosmos, il a décidé de reprendre ses vieux oripeaux, notamment ceux du clochard alcoolique mais devenu mystique, là où il était plus prompt à commettre quelques larcins. Ou presque. Comme pour mieux insister sur une forme de cycle qui reprend forme après avoir touché les cieux et s’être irradié. Il est retourné sur ses vieux plans quasi ambiant avec Teufelgeist, faisant un peu renaître cet ermite aux guenilles ou ce mauvais gueux également bandit des grands chemins qui avaient disparu de notre champs de vision depuis une dizaine d’années. Il s’est pourtant nourri de toutes ses pérégrinations, loin dans le firmament, mais n’en est pas moins revenu apaisé. Il en a ainsi retenu une utilisation des claviers, plus amples et plus solennels. 


Mais c’est bien le Urfaust aux accents médiévaux dont il est question ici, retournant vers une forme de piété et de dévotion que le duo du Brabant avait à ses débuts, avec pour firmament Der freiwillige Bettler, mais gorgé de ce mysticisme de la précédente décennie, dans une version plus terne, éclairée d’un simple cierge. L’on a ainsi une mise en avant d’un orgue sur ces deux parties de ce single, qui, s’il dure un peu plus de dix huit minutes, est considéré comme tel, - les remixes présents sur la version cd accompagnant le vinyle dans son très bel écrin font monter l’ensemble à une demi-heure de musique. Cet orgue mène la danse en compagnie de quelques power chords simplistes sur ce Hoof Tar, donnant bien le ton de cette procession mortuaire à laquelle nous sommes conviés. L’on retrouve ainsi un Urfaust toujours aussi répétitif dans ses motifs et qui ne laisse aucun signe d’évolution de son propos, si ce n’est une très légère et furtive accélération dans sa seconde partie. L’on préfère mettre en exergue ici son côté lancinant. C’est sans nul doute là que les Néerlandais sont les meilleurs: dans cette faculté à vous happer, pour ne pas dire vous hanter, avec une musique simple basée sur quelques accords et répétés ad nauseam. Quelque chose que l’on pourrait rapprocher des formations de doom metal les plus austères, aussi bien dans ces tempi bien lents que dans cette faculté à racler inlassablement le même sillon, sans dévier de sa trajectoire. 


Génuflexions et apitoiement sont les maîtres mots de cette réalisation, et l’on retrouve ce côté lamentant qui avait fait le charme de la formation, mais en le chargeant de ce mysticisme d’un The Constellatory Practice. Comme quoi, si la boucle semble reprendre son cours, elle est toutefois nourrie des divers sentiers parcourus par le groupe. En cela, la prestation de IX au chant est toujours aussi poignante, avec ces incantation lancinantes qui viennent vous rappeler votre condition d’humains. C’est clairement ce qui fait - et fera toujours - la différence chez Urfaust. C’est ce chant toujours sur la brèche mais qui percera même les cœurs les plus endurcis et qui dépeint à la fois cette douleur et cette tristesse, avec ce souffle pestilentiel qui vient s’ajouter à ces émanations d’encens mélangées aux vapeurs d’alcool. Les ténèbres sont ainsi de retour chez Urfaust, avec ce sentiment d’inexorabilité et de fatalité. Ce sont les complaintes d’un homme qui sait qu’il n’y a aucune autre vérité que la mort. C’est Caïn Marchenoir qui ne parvient pas à retrouver la foi lors de sa retraite au couvent des Chartreux et qui y abandonne toute rage et toute colère. En cela, je ne peux m’empêcher de faire un léger parallèle avec Einsiedler, même si la folie qui habitait l’ermite n’est plus de mise et a laissé clairement la place au renoncement, comme si l’on était passé de l’autre côté du miroir avec le temps. 


C’est même un renoncement tout aussi cryptique que mortuaire qui nous est donné ici. Et c’est cela qui va faire tout le sel de cette réalisation, toute aussi hypnotique que touchante dans ce côté ritualiste et répétitif. Même si cela n’éclate pas forcément aux premières écoutes, il y a pourtant plein de motifs pour se laisser pénétrer par ces odes qui semblent venues d’un âge obscur et qui s’expriment d’une manière particulière et obsédante. Car cela restera une constante chez Urfaust, c’est de mettre en musique des sentiments tellement humains, en leur donnant ce prisme ambivalent entre laideur et beauté. Car il y foncièrement quelque chose de beau qui émane de cette musique, même si elle semble annonciatrice d’un nouvel âge obscur, un âge où toute propension à la joie et à la félicité aura disparu sous une chape de plomb et de crasse, à errer sans cesse en courbant l’échine devant tant d’acharnement sur nos vies redevenues misérables. 


A.Cieri

mardi 14 mars 2023

The Midnight Order - Mathieu Bablet

Label 619

16/11/2022


La figure de la sorcière est particulièrement présente dans les créations actuelles. Certes, on peut remonter son traitement comme personnage principal dans le cinéma ou la bande dessinée à plusieurs décennies - l'exemple de "La Belladone de la tristesse" de Eiichi Yamamoto ou de "Häxan" de Benjamin Christensen venant directement en tête - mais l'image de la femme au chat noir et aux maléfices paraît plus abordée que jamais, souvent en lien avec des thématiques et combats actuels. Icône permettant d'aborder le patriarcat, la sororité ou simplement un imaginaire fantastique, elle court le risque de voir son pouvoir de subversion s'atténuer et devenir une métaphore parmi d'autres. À force d'en parler, de faire connaître et reconnaître, ne risque-t-on pas de javeliser ce qui est synonyme de marginalité, de libération, de symbole des victimes de l'oppression par les hommes et la religion chez la sorcière ?

Disons-le tout de suite : "The Midnight Order" n'évite pas cet écueil. Imaginant un ordre traversant les âges de femmes dotées de pouvoirs magiques chargé de réguler celles s'en servant à des fins personnelles, il enferme cette figure au sein d'une histoire pop suivant deux collègues, leurs histoires personnelles et leur relation. Une histoire d'amitié et d'amour que Mathieu Bablet avait abordé, à mon sens avec plus de succès, dans son chef d'oeuvre "Carbone et Silicium", qui se trouve ici engoncée dans des réflexions parfois peu approfondies car foisonnantes (le post colonialisme, la grossophobie, les problèmes familiaux, le féminisme...).

Cependant, malgré ces quelques défauts, "The Midnight Order" contient assez de qualités pour conseiller sa lecture (on ne va pas demander à une bande dessinée d'être aussi riche et politique qu'un "Caliban et la sorcière" de Silvia Federici...). Son parti pris de créer une œuvre collective de dessinateurs et auteurs permet une diversité de styles tout en restant cohérent. Liés par un fil rouge, les participants parviennent à enrichir l'ensemble notamment par de très belles sorties de route, à la manière du chapitre "Variations sur le thème de la mort" rappelant l'horreur fine d'une Emily Carroll ("Dans les bois" ; "Quand je suis arrivée au château"). Il y a également les "Midnight Files" de Claire Barbe, retraçant un historique de la sorcellerie ainsi que de certaines cosmogonies (telle que celle des aborigènes d'Australie) qui pourront plaire aux personnes avides de découvrir ou approfondir leurs connaissances sur certains sujets peu traités avec le même respect présent dans cette bande dessinée. Entre intimité (l'adolescence abordée par le chapitre "Réminiscences" par exemple) et grand angle (on voyage autour du globe et des époques), "The Midnight Order" est ambitieux, parvenant majoritairement à convaincre dans son exercice a priori casse-gueule.

Argument final, l'objet est également très beau, à la hauteur des standards de qualité de la maison d'édition Label 619. En résumé, "The Midnight Order" est une bande dessinée contenant à la fois le meilleur de l'auteur (sa réappropriation d'univers connus, sa finesse dans la peinture des rapports entre les personnes, une réalisation souvent à la hauteur des ambitions...) mais aussi un certain simplisme alourdissant par moments la lecture. Heureusement, on est ici plus proche de la sensibilité de "Carbone et Silicium" que du discours manquant de nuances de "Shangri-La". Une œuvre avant tout destinée à celles et ceux déjà charmés par les créations de son maître à penser mais dont on ne doit pas faire l'impasse si les histoires de sorcière nous passionnent.


Cripure


lundi 13 mars 2023

Yovel - Forthcoming Humanity

Autoproduction

02/10/2020





Lorsque l’on évoque la mise en avant de son patrimoine culturel pour un groupe de metal, et plus particulièrement lorsqu’il est question de black metal, l’on a le plus souvent une mise en avant de concepts de fiertés nationales, parfois mal placées, de contes et légendes, de mythologies, avec plus ou moins de sérieux, de recherches, ou, bien au contraire, de mythifier voire de s’auto-mystifier sur quelques fantasmes. Quand ce n’est pas un âge d’or irréel qui est ânonné comme autant de preuve d’un manque d’intelligence. C’est encore plus à propos lorsque le groupe en question est grec, dans la mesure où il sera, dans une grande majorité des cas, fait allusion à l’Histoire Ancienne de ce pays et à sa mythologie, dans le meilleur des cas, ou de s’échauffer l’esprit et les muscles en s’abreuvant de romans graphiques. Pour autant, c’est assez salvateur de voir que quelques formations prennent d’autres sentiers, à l’image d’un Aherusia sur Nostos? An Answer ou bien un Θλίψις. C’est donc le parti pris de Yovel pour son second album Forthcoming Humanity, qui met ainsi en avant quelques écrits de Tassos Leivaditis, poète et nouvelliste du siècle dernier, résistant, déporté, et témoin dans ses écrits des luttes, défaites et espoir du peuple grec et de son histoire mouvementée au vingtième siècle.


C’est donc en fil rouge de cet album que nous allons retrouver de nombreux extraits de poèmes de Tassos Leividatis, dont quelques uns provenant de Le Vent souffle aux croisements du monde, lus par Antriana Andreovits. C’est bien là un aspect particulier de cette réalisation, où narrations vont alterner avec parties chantées, pouvant rendre un peu difficile ses premières approches. Mais même lorsque l’on ne parle pas le grec, l’on ressent toutefois cette émotion, cette tragédie et cette amertume qui ressort de ces poèmes. Yovel n’a ainsi guère choisi la facilité avec ce second album, et pourtant l’on sent très bien ce qu’il tend à nous faire ressentir. S’il y a la bivalence évoquée ci-dessus, il y a aussi ce va et vient entre différentes émotions, différentes ambiances qui vont se décliner sur ces neuf titres, même si l’agencement de ces derniers donnent l’impression d’écouter un titre unique divisé en autant de chapitres, tant l’unité du propos et sa cohérence sont nettes. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si Debout les morts débute par quelques acoustiques aux teintes déprimées, comme si l’espoir avait quitté l’humanité, avant que le thème joué aux acoustiques ne soit repris en version black metal sur le titre Peace. Des instants où toute la rage et le colère du groupe éclatent clairement et nettement, s’exprimant au travers d’un chant black metal bien râpeux, presque acre dans ses intonations, et également par le biais de mouvements véloces, avec riffing percutant et blast beats de rigueur. 


C’est ainsi que l’on va alterner entre instants plus posés, ternis par une forme de mélancolie ou plutôt d’abattement, où le désespoir semble prendre le dessus, et moments emplis de rage et de fureur, comme autant d’appels à la révolte et à l’insoumission. Pour autant, il ne faut pas voir dans cet album une volonté chez Yovel d’un propos assez simpliste avec juste deux nuances de leur musique. C’est assez finement amené et il n’est pas rare de penser à l’avant-gardisme mis en avant par un Mayhem sur Grand Déclaration of War ou dans les œuvres de jeunesse d’un Solefald. J’y trouve cette même modernité et ce même bouillonnement d’idée et un côté un peu glacial. Même si, pour le coup, l’on a ici quelque chose de moins jusqu’au boutiste dans la finalité, le fait d’avoir une ligne directrice pour le concept de cet album apportant à tout cela une grande cohérence. Dans tous les cas, il y a un richesse dans les arrangements, car outre les narrations, l’on trouve souvent des samples de discours ou de reportages, parfaitement utilisés et venant appuyer le propos. L’on a souvent la mise en avant des acoustiques, avec une petite teinte folk qui fait un peu le pont avec les chansons de Partisans, ou bien encore de quelques claviers, tenus par Ayloss de Spectral Lors et de Mystras. Si le côté parfois bouillonnant et impétueux donne l’impression de quelque chose d’incontrôlé, il y a au contraire un excellent travail dans l’écriture, dans la juxtaposition des éléments, dans ces cassures de rythme et ces décharges d’adrénaline. 


L’on sent ici un Yovel tout autant témoin et respectueux de l’héritage de Leividatis qu’une volonté de faire un parallèle avec notre monde actuel, comme autant de points d’ancrage entre ce qu’a vécu l’auteur et ce que nous vivons actuellement, et encore plus le peuple grec. L’on ressent bien toute cette ambivalence de sentiments humains entre révolte et recueillement, entre charges frontales et instants plus poétiques. C’est clairement quelque chose à saluer au même titre que l’entièreté de la démarche du groupe entre le choix de la pochette, et l’intégralité du livret de ce disque qui est très documenté et très fourni, avec un très beau digipack: c’est un réel bonheur de voir un groupe ayant apporté autant de soin à cet aspect, ce d’autant que cet album est une autoproduction. C’est clairement un plus à mettre au crédit des Hellènes. L’on ne s’ennuie guère à l’écoute de ce Forthcoming Humanity, qui, s’il demande à être apprivoisé tant le groupe n’a fait aucune concession dans sa musique, mérite amplement le détour et il n’est pas rare que votre humble serviteur bloque pendant des heures sur cet album tant il en émane quelque chose d’à la fois beau, captivant, prenant aux tripes et universel. 


Πάμε!


https://yovel.bandcamp.com/album/forthcoming-humanity-2020


A.Cieri



dimanche 12 mars 2023

Le Chat Noir - Hideshi Hino

 IMHO

17/02/2023


Une belle gueule ce chat noir, avec ces grands yeux et son air blasé. Blasé ou plutôt flegmatique. Car il en a déjà vu, des vertes et des pas mûres. Un chat errant apprend vite la débrouille, se construit seul et se forge une carapace de poils. Il se livre sans fard et vous le suivez dans ses déambulations et ses rencontres improbables.

Sa naissance et sa couleur en ont fait d’emblée une sorte de paria. Se dessine dès les premières pages le caractère superstitieux des êtres humains, une faiblesse parmi tant d’autres. Si le titre de ce manga ainsi que la mention « fantastique » renvoie automatiquement, voire inconsciemment, vers Edgar Allan Poe, l’influence se trouve davantage du côté du Japon et du roman de Natsume Soseki, « Je suis Un Chat ». Car Hideshi Hino – contemporain de Kazuo Umezu (maître du manga d’horreur) – peint une société japonaise au vitriol. La noirceur est prépondérante, tout comme le héros félin ou encore dans le dessin et ses traits épais. D’un employé d’un cirque se surpassant afin de ne pas être licencié jusqu’au huis clos étouffant de la nouvelle « Pépé et mémé », vos yeux s’écarquillent et une grimace se fige sur votre visage. 

L’humanité se dégageant de certains personnages dans la première moitié du manga (« Le ventriloque » et « Un étrange mangaka »), s’estompe rapidement au fil des pages. Le chat noir observe, apprend à se familiariser avec ces curieux et fascinants animaux que nous sommes. 

« Et c’est ainsi que ce temps passé à observer les humains m’a amené à la conclusion qu’il n’existait pas de créatures plus énigmatiques et étranges. »

Pourtant, il n’y a rien à sauver. Hommes, femmes, enfants, personnes âgées, tous et toutes semblent avilis, perdus. Les émotions les plus basses font surface pour au fur et à mesure faire disparaître tout le reste – ce qui est bon. L’obsession, le harcèlement, la violence, le sadisme, la solitude, la marginalité, le désir de possession et de contrôle (les relations hommes/femmes sont très parlantes) et la folie bien entendu ! Elle se dresse comme toile de fond aux intrigues, revêtant différentes formes. Une folie qui prend une vilaine tournure, dramatique même, laissant s’infiltrer une touche fantastique pour vous clouer au pilori. Acerbe, cynique, nihiliste, Hideshi Hino coche beaucoup de cases et il faudra avoir le cœur suffisamment ficelé afin d’encaisser ce flot de noirceur.

Nul échappatoire ici, les animaux pâtissent eux-mêmes des travers des êtres humains (« Le garçon et le chient noir »). Ils sont poussés à leur paroxysme par l’auteur. L’absurdité des situations frappent et questionnent. Le dessin ne fait qu’accentuer ce sentiment avec des personnages  volontairement caricaturés à l’extrême, souvent grossiers. Le Chat Noir aime appuyer où ça fait mal, mettre à nu et à vif nos défauts ainsi que nos paradoxes. Une peinture sombre, grinçante décrite par le félin des rues – observateur malgré lui –, où le fantastique offre une seconde lecture et davantage de profondeur. Publié au Japon en 1979 sous le titre «  Kuroneko no Me ga Yami ni », ce one-shot déconcerte assurément. Qualité, défaut,…vous aimez ou vous détestez. Il n’empêche que sous son apparente simplicité – son côté « poussif » –, la complexité de notre espèce et de nos relations est parfaitement retranscrite, toujours d’actualité dans ce qu’elle a de plus sombre. 

Mettre un pied dans l’univers d’Hideshi Hino c’est perdre son innocence, laisser loin derrière tout espoir en l’humanité. Une immersion douloureuse et tardive due à l’excellente maison d’éditions IMHO (cf. Nekojiru Udon de Nekojiru, Mind Game de Robin Nishi ou encore La Jeune Fille aux camélias de Suehiro Maruo) qui a édité, en français, L’Enfant Insecte (2012), Panorama de L’Enfer (2012) mais aussi Serpent Rouge (2012). En cette année 2023, marquant les 30 ans d’IMHO, place donc à une nouvelle fournée avec Le Chat Noir, Le Cadavre Vivant et Oninbô. À table !

Längäste

vendredi 10 mars 2023

Serpentent - Ancient Tomes, Volume I: Mother of Light

Svart Records

20/05/2022



Ce blog s'appelle Les danses nocturnes. Il est temps de vous en proposer une. 

Celle-ci est une danse lente, aux gestes amples, faite sous la lumière d'une lune où seules certaines peaux sauront accueillir sa chaleur. Serpentent peut se ranger dans la grande famille du dark folk à chanteuse, sa silhouette étant effectivement celle d'une guitare acoustique égrenant ses mélodies cycliques, d'une voix grave soufflant le froid, d'un palais mental où Goethe, Rilke et d'autres se côtoient. Pourtant, qui restera verra, au détour d'un rayon de pierres en suspension, un regard apaisé se dessiner sur le haut de ce corps trop rapidement évalué et, plus bas, un sourire aux lèvres fermées débordant les joues. L'envie viendra alors de laisser de côté Werther et de se souvenir de ce brasier tranquille, vibrant, qui réchauffe l'estomac lors du visionnage du film "Les ailes du désir" de Wim Wenders au-delà de toute autre germanité. 

Car le sentiment qui prédomine devient rapidement celui d'une plénitude solennelle, celle non pas tombée du Ciel mais prise à l'arrachée sur Terre, naissant de la guérison suite à une maladie d'âme. La dame, parlons-en, puisqu'elle est par sa voix la personnification de cette libération, de cette humanité dépassant le malheur pour embrasser la beauté, cette nourriture offerte à l'esprit dont on ressort plus affamé encore d'exister. "Mother of Light" parle bien de mort, mais le fait avec acceptation de la transformation, alchimiste embrassant la grande mutation du monde, du bois brûlé devenant charbon d'un autre feu au décès comme source d'une nouvelle étincelle de vie. Il vous propose une valse d'un deuil qui s'accepte, où les vivants dansent sur le sol des morts, non par insolence mais en un ultime salut. Prendrez-vous sa main ?

Cripure

Lien Bandcamp :  https://serpentent.bandcamp.com/album/ancient-tomes-volume-i-mother-of-light


jeudi 9 mars 2023

Dead Elephant - Unholy Blackened Sludge

Autoproduction 

15/01/2023



Il serait facile de faire une énième comparaison entre ce nouveau disque de ce groupe précieux de sludge qu'est Dead Elephant et... La merde. Car, ceux qui bouffent le Fistula des grandes heures, Grief, Dystopia et consorts - et qui, j'espère, ne m'ont pas attendu pour écouter ce disque - le savent : un bon disque de sludge est comme un bon passage aux chiottes, expéditif, sale, sans gêne et poussif, avec la jouissance qu'il y a à se vider. Désolé si ça fait rougir ; vous vous refusez certains plaisirs.

Mais essayons autre chose. Comme dire qu'il y a dans ce sludge qui n'oublie pas qu'il y a canon dans canonique (quelle beauté dans ce respect des codes qui garde la ferveur en son centre !) une volonté quasi-politique de remettre au centre la menace, la rage, le DIY qui a mu au départ un style gentrifié de nos jours. Point de post metal, de brasserie artisanale, de black metal mélodique ou de cuisine moléculaire dans ce quartier populaire : "Unholy Blackened Sludge" a la même force de revendication qu'un certain "Unholy Black Metal" d'un certain "Under the Funeral Moon", la même intransigeance et la même horreur crue portée en étendard.

Voilà qui ne révolutionne rien mais qui pourra vous apporter le plaisir d'envoyer tout chier, donc. Même vous.

Cripure

Lien Bandcamp : https://deadelephant.bandcamp.com/album/unholy-blackened-sludge

mardi 7 mars 2023

Gévaudan - Iter

Autoproduction

04/10/2019


Les apparences sont parfois trompeuses, et, pour ce qui concerne un album ou un groupe, l’on peut très vite faire fausse route, comme c’est le cas avec cette pochette d’album, ou bien encore le nom du groupe, qui nous renvoie au folklore français, et incidemment à quelque chose évoluant dans le registre du black metal, ce qui est le cas pour les deux autres formations recensées partageant le même nom. Pourtant, dès les premiers arpèges du titre Dawntreader, l’on sait pertinemment la provenance géographique de Gévaudan, déroutante si l’on s’en tient strictement à son patronyme: l’Angleterre. C’est tellement une évidence et c’est quelque chose qui sera tenace sur l’entièreté de ces quelques cinquante trois minutes. S’il aura fallu six années au quatuor, depuis sa création en deux mille treize, pour sortir ce premier album, Iter, il a toutefois publié deux EP auparavant, qui laissaient déjà entrevoir leur personnalité. Un tempérament qui sera clairement affirmé sur cet album bien construit et généreux en moments forts.

À l’instar de cette pochette aux tons gris dominants, c’est aussi un camaïeu de ces tonalités que nous dévoilent les Anglais sur ces cinq titres. Si je persiste à vous indiquer que ce groupe sonne on ne peut plus conforme à ce que l’on attend d’une formation provenant de ces terres c’est qu’il pratique un doom metal assez classique, faisant toutefois le pont entre classicisme et modernité. L’on parle bien d’un groupe qui aura puisé ses influences aussi bien chez un My Dying Bride, dans cette fatalité plombante et dans cette manière de proposer ses riffs de guitares, - le riff principal de Maelstrom ayant quelques similitudes avec celui du titre Sear Me -, mais, et surtout même, chez un Tefra, un Unsilence et bien évidemment chez un Warning. L’on retrouve ici ce côté très poignant, aussi bien dans le chant d’Adam Pirmohamed, que dans ces mélodies et ces quelques harmonisations. Les deux premiers titres sont d’ailleurs de beaux exemples de mélancolie et de tristesse, tout à fait inhérentes au genre et très communes aux références suscitées. Le va et vient entre arpèges glaçants, à vous plomber une belle journée ensoleillée, et riffs plus pesants sur Dawntreader est un modèle du genre. C’est simple, basique, mais cela fait toujours son petit effet. C’est aussi le cas de la première partie du titre Dustwalker, tout en finesse et spleen déployés. C’est bien en cela que le groupe ne peut nier ses origines géographiques, montrant ainsi une volonté de prolonger un certain héritage.

Pour autant, si l’on pourrait craindre une formation trop scolaire, il y a toutefois quelques éléments qui penchent en faveur d’une personnalité affirmée, ou, tout du moins, d’une certaine modernité. En cela, le groupe maîtrise très bien cette faculté à faire monter l’intensité au sein de ses compositions, comme sur Dawntreader, The Great Heathen Army ou Dustwalker. L’on sent ici la patte d’un Yob, mais un Yob débarrassé de ses effluves psychédéliques pour les remplacer par quelques choses de plus païen et de plus tragique dans l’esprit. Bref, un Yob où Mike Scheidt aurait écouter en boucle The Gathering Wilderness de Primordial. C’est cela qui fait aussi le particularisme de Gévaudan, et le rend d’autant plus attachant: ce côté à la fois nostalgique et tumultueux. Où le riffing répétitif n’en devient que plus obsédant et profère tout autant de coups de semonces dans un moral mis en berne devant une certaine vacuité actuelle. C’est quelque chose qui est assez palpable sur cet album, mais que l’on ressent surtout sur des titres comme Saints of Blood et Dustwalker, dans ces instants où après avoir ressassé un certain abattement, le groupe n’hésite pas à prendre son destin en main et à se montrer plus incisif et impétueux, pour ne pas dire plus extrême. Ce n’est guère anodin si ce sont sur ces titres où Adam Pirmohamed va alterner entre chant clair pleurnichard et growls bien baveux ou chant saturé quasiment black metal, histoire de bien exprimer une forme de colère. Si j’avais un peu coincé lors de la découverte de cet album sur ces passages aux chants saturés, ils prennent pleinement sens au fil des écoutes, nous offrant d’ailleurs un final d’album tout en intensité.

 Il est évident que l’on nous joue ici l’homme seul face aux éléments, mettant à nues ses sentiments, ses ressentis, son amertume et ses regrets, seul, au bord d’une falaise, sous une pluie battante, défiant ainsi les éléments et les dieux anciens. Ce sont toutes ces images qui viennent à l’esprit à l’écoute de ce premier album, fort réussi, de Gévaudan. Les influences sont clairement bien digérées, et l’on n’a aucunement un amalgame mal dégrossi et mal assimilé sur cet opus. Pour autant, le chemin emprunté ici est tout autant pavé de bonnes intentions qu’il peut s’avérer tortueux, tant les Anglais savent ici souffler entre l’incandescent et le glaçant, rappelant un peu, de manière lointaine, Latitude Egress, avec qui il partage cette même bivalence entre esprit païen et résigné, mais sans jouer les fiers à bras ou les braves guerriers indestructibles. L’on n’est évidemment pas dans ce type d’ambiance ici, mais bien dans une certaine forme de solennité et de respect pour un passé révolu, qu’il soit réel ou imaginaire, mais avec les pieds fermement ancrés dans une réalité toujours aussi déprimante. C’est tout ceci qui se dévoile sur ce Iter, avec justesse et classe.

                                                                                                                                                                       A.Cieri

Lien Bandcamp : https://gevaudan.bandcamp.com/album/iter


lundi 6 mars 2023

Trespasser – Αποκάλυψισ

Heavenly Vault / Red Nebula / Pest Productions / Autoproduction

03/02/2023


En ces temps difficiles et incertains, où la bêtise et le nauséabond semblent prendre le pas sur l’intelligence et l’espoir d’un monde meilleur, il est bon de pouvoir se rattacher à certaines choses. Et notamment de se rappeler que des victoires sont encore possibles, et qu’il faut se remémorer ces instants de félicités et d’avancées pour l’Humanité, afin de faire preuve de résilience et ainsi se préparer à mener les assauts nécessaires contre les ennemis. C’est en filigrane le message présent sur ce Αποκάλυψισ, second album de Trespasser, et dont les paroles sont fortement influencées par les travaux de David Graeber, en particulier ceux sur la dette, donnant ainsi une relecture de l’Apocalypse de Jean, sous le prisme de l’anthropologie et de l’anarchisme. L’on a ici une des singularités de cet album qui le rend on ne peut plus attachant et même surprenant, car le duo fait montre ici d’une ré-appropriation des symboles du black metal.

Trespasser n’est donc pas à son coup d’essai avec ce Αποκάλυψισ, puisque cet album fait suite à Чому не вийшло?, paru en deux mille dix huit, et qui était déjà influencé par l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno. De là provient aussi cette légende urbaine, entretenue par les musiciens, que le groupe provient d’Ukraine, alors qu’il n’en est rien: Trespasser nous vient de Suède. Et Suédois, ce groupe l’est complètement, terriblement même. En cela, je fais surtout référence au fait que le groupe nous propose ici un black metal assez direct et même brutal, nous renvoyant directement à des références telles que Marduk ou Dark Funeral. L’on a ici un propos qui se veut donc bien frontal et incandescent, avec un riffing bien acéré et une dynamique particulièrement véloce. C’est d’ailleurs ce souffle guerrier qui va surprendre lors des premières écoutes de cet album, qui défile assez rapidement avec sept titres d’une durée moyennes et qui ne contiennent pas de temps morts. L’intensité ne redescend pas, et l’on a de très nombreux moments de bravoure qui se dévoilent au fil des écoutes. Je pense notamment à ces refrains assez accrocheurs comme sur The Great Debt-Strike I: A Pillar of Smoke avec « Burn the records of the creditor! », et « Heavy stone upon clay » crié à l’envie sur Holókaustos, or the Justification and Affirmation of Hierarchical Order by the Symbolism of Immolations. Ce sont ainsi des exemples de cette efficacité dont sait faire preuve Trespasser au grès d’une certaine radicalité déclinée sur ces trente neuf minutes.

Les nombreuses années passées à préparer cette nouvelle réalisation ont clairement porté leurs fruits, tant les Suédois affichent de nets progrès en terme d’écriture et d’efficacité. Ils bénéficient aussi d’une remarquable production des fameux studios Fredman. Et l’on n’est pas sans penser à la scène suédoise des années quatre vingt dix, et notamment, outre les références suscitées, à la scène black/death metal mélodique, avec des groupes comme Dissection, Dawn ou bien Sacramentum en tête. C’est là aussi un fait saillant de cet album, c’est qu’outre le côté agressif des titres, tous sont aussi pourvus de ce mélodisme tantôt épique, tantôt fervent, qui habitait ces formations. Chaque titre comprend en son sein des leads ou des passages mélodiques très bien maîtrisés et très inspirés. C’est même quelque chose que le groupe a amplifié par rapport à son premier album. L’on doit ajouter à cela quelques ajouts de claviers et autres samples qui viennent étoffer certains titres, sans que ces arrangements ne viennent amenuiser l’effet produit par ces sept déflagrations. Si l’ensemble est foncièrement relevé d’un point de vue rythmique, l’on n’est pas non plus en présence d’un groupe au propos univoque, quelques temporisations sont à noter, avec le bénéfice de mettre encore plus en exergue les passages les plus brutaux. Une dualité que l’on retrouve également au niveau du chant de Dräparn, alternant entre chant black metal et quelques lignes plus dans une veine punk, le tout pour un rendu on ne peut plus vindicatif et engagé.

Avec ce Αποκάλυψισ, Trespasser a réussi, bien au-delà de mes espérances, à faire encore mieux, et dans de nombreux domaines, que sur son premier album. Les Suédois ont surtout évité le piège béant qui se présentait à eux en ne se laissant point happé par leur concept, au détriment de la musique. Bien au contraire! Ici tout fait corps et sens entre la musique, à la fois brutale et mélodique, et les paroles. Tout s’imbrique clairement et s’enchaine sans faille, dévoilant des aspérités mélodiques au fil des écoutes ainsi que moult détails, là où une première impression pourrait laisser à penser à une énième réalisation de black metal brutal et anecdotique. À n’en point douter, Αποκάλυψισ fait partie des réalisations marquantes de ce début d’année deux mille trois. C’est même un peu rageant de voir bon nombre d’amateurs de black metal ignorer une telle œuvre, plus prompts à se délecter de formations fangeuses et à aveuglément assouvir leurs soifs de petits frissons incorrects. Αποκάλυψισ est aussi une réponse à cela et une manière de reprendre le flambeau d’un black metal incisif et acéré, mais aussi une part de ses dogmes avec un prisme différent, nous renvoyant aussi à ce que les années quatre vingt dix avaient de bon, sans toutefois patauger dans l’abjection. Des quatre cavaliers de l’Apocalypse, il nous en reste  finalement deux ici: celui qui porte un glaive et celui qui porte une balance.

A.Cieri

Lien Bandcamp : https://trespasserxvi.bandcamp.com/album/--2

dimanche 5 mars 2023

Oozing Wound - We Cater to Cowards

 Thrill Jockey Records

23/01/2023



Voivod qui ne serait pas un groupe de Thrash metal à thématique spatiale aimant le punk mais... un groupe de punk aimant le Thrash metal à thématique spatiale ? On va encore me dire que mon goût pour la formule me fait faire des comparaisons tirées par les cheveux. Et pourtant...

Quoi voir d'autre dans cet album d'Oozing Wound, le seul à me parler après le premier qui, déjà, contenait son lot de clins d'œil indirects mais néanmoins acides aux Québécois ? Welcome again to the spaceship, motherfucker ! Seulement, ici, on n'est pas à suivre les histoires de Körgull l'exterminateur mais d'un RSAiste futuriste rongé de drogues et de frustrations quotidiennes (comme si changer le décor allait changer la pauvreté et son vécu, tiens...), balançant sa grogne sociale depuis des bas-fonds aliens. Qui a vu Oozing Wound en concert sait la radicalité que son noise rock fortement metal transpire : elle est ici pleinement présente, encore davantage que sur cet exercice de style réussi qu'est Retrash. Caustique, toxique et grevée de tiques, la bande transmet une transe guerrière vécue le regard rouge de sang et de fumée radioactive donnant envie de la rapprocher d'un High on Fire plus métal hurlant que Conan.

...Mais oublions tout cela et resserrons au mot qui vient en tête tout le long de l'écoute : punk, punk, punk, ni à chien ni à chier, du punk si hargneux et martelé qu'il en devient psychédélique, porteur d'un univers où la galaxie n'est pas la seule à brûler. Accrochez-vous, le décollage n'est que la première vrille dans vos oreilles d'un voyage aussi éprouvant que jouissif.

                                                                                                                                                          Cripure

Lien Bandcamp : https://oozingwound.bandcamp.com/album/we-cater-to-cowards




samedi 4 mars 2023

Sightless Pit - Lockstep Bloodwar

Thrill Jockey

27/01/2023



Derrière cette pochette qui fait imaginer une fin alternative à Predator 2 où le monstre deviendrait un prisonnier victime de violences policières comme un autre : une œuvre qui contient de ce film davantage cette moiteur urbaine, cette atmosphère de jungle faite ville, grouillante et cardiaque, que nul autre songe cinéphile.

Sightless Pit, nécessairement, a muté suite à la démission de Kristin Hayter, partie avec l'heavenly autotunė qui faisait une part du charme de Grave of a Dog. Un être vous manque et tout est repeuplė ! C'est une nouvelle bête qui se dessine ici, faussement apaisée, cyberpunk, infernale, avide de ses multiples voix et ambiances, envoyant ses missives par invasions de nos rêves, comme les publicités assaillant les nuits des habitants de la bande dessinée Transmetropolitan. Rarement aura-t-on écouté rythmes aussi simples et cependant obsédants, stupeur et angoisse lancées en nappes synthétiques parasitant avec un tel naturel nos propres pensées déjà peu réjouissantes, calme de surface - mais gare au coup de sang quand il arrive ! - exprimant avec autant de crédibilité le mal-être d'un monde à venir, où les cris de Dylan Walker deviennent ceux d'une transhumanité qui meurt avant de naître.

Le futur vous parle et il ne va pas mieux que vous.

Cripure

Lien Banscamp : https://sightlesspit.bandcamp.com/album/lockstep-bloodwar


Anohni and the Johnsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

Rough Trade/Secretly Canadian 07/07/2023 Anohni avait déjà brisé sa coquille sur Hoplesseness paru 7 ans plus tôt. Sans les Johnsons mais ...