lundi 13 mars 2023

Yovel - Forthcoming Humanity

Autoproduction

02/10/2020





Lorsque l’on évoque la mise en avant de son patrimoine culturel pour un groupe de metal, et plus particulièrement lorsqu’il est question de black metal, l’on a le plus souvent une mise en avant de concepts de fiertés nationales, parfois mal placées, de contes et légendes, de mythologies, avec plus ou moins de sérieux, de recherches, ou, bien au contraire, de mythifier voire de s’auto-mystifier sur quelques fantasmes. Quand ce n’est pas un âge d’or irréel qui est ânonné comme autant de preuve d’un manque d’intelligence. C’est encore plus à propos lorsque le groupe en question est grec, dans la mesure où il sera, dans une grande majorité des cas, fait allusion à l’Histoire Ancienne de ce pays et à sa mythologie, dans le meilleur des cas, ou de s’échauffer l’esprit et les muscles en s’abreuvant de romans graphiques. Pour autant, c’est assez salvateur de voir que quelques formations prennent d’autres sentiers, à l’image d’un Aherusia sur Nostos? An Answer ou bien un Θλίψις. C’est donc le parti pris de Yovel pour son second album Forthcoming Humanity, qui met ainsi en avant quelques écrits de Tassos Leivaditis, poète et nouvelliste du siècle dernier, résistant, déporté, et témoin dans ses écrits des luttes, défaites et espoir du peuple grec et de son histoire mouvementée au vingtième siècle.


C’est donc en fil rouge de cet album que nous allons retrouver de nombreux extraits de poèmes de Tassos Leividatis, dont quelques uns provenant de Le Vent souffle aux croisements du monde, lus par Antriana Andreovits. C’est bien là un aspect particulier de cette réalisation, où narrations vont alterner avec parties chantées, pouvant rendre un peu difficile ses premières approches. Mais même lorsque l’on ne parle pas le grec, l’on ressent toutefois cette émotion, cette tragédie et cette amertume qui ressort de ces poèmes. Yovel n’a ainsi guère choisi la facilité avec ce second album, et pourtant l’on sent très bien ce qu’il tend à nous faire ressentir. S’il y a la bivalence évoquée ci-dessus, il y a aussi ce va et vient entre différentes émotions, différentes ambiances qui vont se décliner sur ces neuf titres, même si l’agencement de ces derniers donnent l’impression d’écouter un titre unique divisé en autant de chapitres, tant l’unité du propos et sa cohérence sont nettes. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si Debout les morts débute par quelques acoustiques aux teintes déprimées, comme si l’espoir avait quitté l’humanité, avant que le thème joué aux acoustiques ne soit repris en version black metal sur le titre Peace. Des instants où toute la rage et le colère du groupe éclatent clairement et nettement, s’exprimant au travers d’un chant black metal bien râpeux, presque acre dans ses intonations, et également par le biais de mouvements véloces, avec riffing percutant et blast beats de rigueur. 


C’est ainsi que l’on va alterner entre instants plus posés, ternis par une forme de mélancolie ou plutôt d’abattement, où le désespoir semble prendre le dessus, et moments emplis de rage et de fureur, comme autant d’appels à la révolte et à l’insoumission. Pour autant, il ne faut pas voir dans cet album une volonté chez Yovel d’un propos assez simpliste avec juste deux nuances de leur musique. C’est assez finement amené et il n’est pas rare de penser à l’avant-gardisme mis en avant par un Mayhem sur Grand Déclaration of War ou dans les œuvres de jeunesse d’un Solefald. J’y trouve cette même modernité et ce même bouillonnement d’idée et un côté un peu glacial. Même si, pour le coup, l’on a ici quelque chose de moins jusqu’au boutiste dans la finalité, le fait d’avoir une ligne directrice pour le concept de cet album apportant à tout cela une grande cohérence. Dans tous les cas, il y a un richesse dans les arrangements, car outre les narrations, l’on trouve souvent des samples de discours ou de reportages, parfaitement utilisés et venant appuyer le propos. L’on a souvent la mise en avant des acoustiques, avec une petite teinte folk qui fait un peu le pont avec les chansons de Partisans, ou bien encore de quelques claviers, tenus par Ayloss de Spectral Lors et de Mystras. Si le côté parfois bouillonnant et impétueux donne l’impression de quelque chose d’incontrôlé, il y a au contraire un excellent travail dans l’écriture, dans la juxtaposition des éléments, dans ces cassures de rythme et ces décharges d’adrénaline. 


L’on sent ici un Yovel tout autant témoin et respectueux de l’héritage de Leividatis qu’une volonté de faire un parallèle avec notre monde actuel, comme autant de points d’ancrage entre ce qu’a vécu l’auteur et ce que nous vivons actuellement, et encore plus le peuple grec. L’on ressent bien toute cette ambivalence de sentiments humains entre révolte et recueillement, entre charges frontales et instants plus poétiques. C’est clairement quelque chose à saluer au même titre que l’entièreté de la démarche du groupe entre le choix de la pochette, et l’intégralité du livret de ce disque qui est très documenté et très fourni, avec un très beau digipack: c’est un réel bonheur de voir un groupe ayant apporté autant de soin à cet aspect, ce d’autant que cet album est une autoproduction. C’est clairement un plus à mettre au crédit des Hellènes. L’on ne s’ennuie guère à l’écoute de ce Forthcoming Humanity, qui, s’il demande à être apprivoisé tant le groupe n’a fait aucune concession dans sa musique, mérite amplement le détour et il n’est pas rare que votre humble serviteur bloque pendant des heures sur cet album tant il en émane quelque chose d’à la fois beau, captivant, prenant aux tripes et universel. 


Πάμε!


https://yovel.bandcamp.com/album/forthcoming-humanity-2020


A.Cieri



2 commentaires:

  1. Marrant cette introduction à ton propos, il me semble que l'image de la pochette a justement déjà servi à un groupe de "black metal futuriste" qui donnait à ce dernier terme le sens renvoyant au mouvement italien fascisant du même nom.

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    1. L'on va dire que chez Yovel, on est plutôt lecteur de Gramsci que de D'Annunzio. C'est surtout que, pour une fois, l'on n'est pas dans l'apologie de l'histoire Antique grecque, mais plus une mise en avant de la seconde partie du vingtième siècle, et une mise en parallèle de ce qu'il se passe de nos jours. Après, c'est pas plus mal qu'un groupe se réapproprie un symbole, notamment cette peinture, plutôt que de le laisser à ceux qui veulent être dédiabolisés.

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