lundi 6 mars 2023

Trespasser – Αποκάλυψισ

Heavenly Vault / Red Nebula / Pest Productions / Autoproduction

03/02/2023


En ces temps difficiles et incertains, où la bêtise et le nauséabond semblent prendre le pas sur l’intelligence et l’espoir d’un monde meilleur, il est bon de pouvoir se rattacher à certaines choses. Et notamment de se rappeler que des victoires sont encore possibles, et qu’il faut se remémorer ces instants de félicités et d’avancées pour l’Humanité, afin de faire preuve de résilience et ainsi se préparer à mener les assauts nécessaires contre les ennemis. C’est en filigrane le message présent sur ce Αποκάλυψισ, second album de Trespasser, et dont les paroles sont fortement influencées par les travaux de David Graeber, en particulier ceux sur la dette, donnant ainsi une relecture de l’Apocalypse de Jean, sous le prisme de l’anthropologie et de l’anarchisme. L’on a ici une des singularités de cet album qui le rend on ne peut plus attachant et même surprenant, car le duo fait montre ici d’une ré-appropriation des symboles du black metal.

Trespasser n’est donc pas à son coup d’essai avec ce Αποκάλυψισ, puisque cet album fait suite à Чому не вийшло?, paru en deux mille dix huit, et qui était déjà influencé par l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno. De là provient aussi cette légende urbaine, entretenue par les musiciens, que le groupe provient d’Ukraine, alors qu’il n’en est rien: Trespasser nous vient de Suède. Et Suédois, ce groupe l’est complètement, terriblement même. En cela, je fais surtout référence au fait que le groupe nous propose ici un black metal assez direct et même brutal, nous renvoyant directement à des références telles que Marduk ou Dark Funeral. L’on a ici un propos qui se veut donc bien frontal et incandescent, avec un riffing bien acéré et une dynamique particulièrement véloce. C’est d’ailleurs ce souffle guerrier qui va surprendre lors des premières écoutes de cet album, qui défile assez rapidement avec sept titres d’une durée moyennes et qui ne contiennent pas de temps morts. L’intensité ne redescend pas, et l’on a de très nombreux moments de bravoure qui se dévoilent au fil des écoutes. Je pense notamment à ces refrains assez accrocheurs comme sur The Great Debt-Strike I: A Pillar of Smoke avec « Burn the records of the creditor! », et « Heavy stone upon clay » crié à l’envie sur Holókaustos, or the Justification and Affirmation of Hierarchical Order by the Symbolism of Immolations. Ce sont ainsi des exemples de cette efficacité dont sait faire preuve Trespasser au grès d’une certaine radicalité déclinée sur ces trente neuf minutes.

Les nombreuses années passées à préparer cette nouvelle réalisation ont clairement porté leurs fruits, tant les Suédois affichent de nets progrès en terme d’écriture et d’efficacité. Ils bénéficient aussi d’une remarquable production des fameux studios Fredman. Et l’on n’est pas sans penser à la scène suédoise des années quatre vingt dix, et notamment, outre les références suscitées, à la scène black/death metal mélodique, avec des groupes comme Dissection, Dawn ou bien Sacramentum en tête. C’est là aussi un fait saillant de cet album, c’est qu’outre le côté agressif des titres, tous sont aussi pourvus de ce mélodisme tantôt épique, tantôt fervent, qui habitait ces formations. Chaque titre comprend en son sein des leads ou des passages mélodiques très bien maîtrisés et très inspirés. C’est même quelque chose que le groupe a amplifié par rapport à son premier album. L’on doit ajouter à cela quelques ajouts de claviers et autres samples qui viennent étoffer certains titres, sans que ces arrangements ne viennent amenuiser l’effet produit par ces sept déflagrations. Si l’ensemble est foncièrement relevé d’un point de vue rythmique, l’on n’est pas non plus en présence d’un groupe au propos univoque, quelques temporisations sont à noter, avec le bénéfice de mettre encore plus en exergue les passages les plus brutaux. Une dualité que l’on retrouve également au niveau du chant de Dräparn, alternant entre chant black metal et quelques lignes plus dans une veine punk, le tout pour un rendu on ne peut plus vindicatif et engagé.

Avec ce Αποκάλυψισ, Trespasser a réussi, bien au-delà de mes espérances, à faire encore mieux, et dans de nombreux domaines, que sur son premier album. Les Suédois ont surtout évité le piège béant qui se présentait à eux en ne se laissant point happé par leur concept, au détriment de la musique. Bien au contraire! Ici tout fait corps et sens entre la musique, à la fois brutale et mélodique, et les paroles. Tout s’imbrique clairement et s’enchaine sans faille, dévoilant des aspérités mélodiques au fil des écoutes ainsi que moult détails, là où une première impression pourrait laisser à penser à une énième réalisation de black metal brutal et anecdotique. À n’en point douter, Αποκάλυψισ fait partie des réalisations marquantes de ce début d’année deux mille trois. C’est même un peu rageant de voir bon nombre d’amateurs de black metal ignorer une telle œuvre, plus prompts à se délecter de formations fangeuses et à aveuglément assouvir leurs soifs de petits frissons incorrects. Αποκάλυψισ est aussi une réponse à cela et une manière de reprendre le flambeau d’un black metal incisif et acéré, mais aussi une part de ses dogmes avec un prisme différent, nous renvoyant aussi à ce que les années quatre vingt dix avaient de bon, sans toutefois patauger dans l’abjection. Des quatre cavaliers de l’Apocalypse, il nous en reste  finalement deux ici: celui qui porte un glaive et celui qui porte une balance.

A.Cieri

Lien Bandcamp : https://trespasserxvi.bandcamp.com/album/--2

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