mardi 7 mars 2023

Gévaudan - Iter

Autoproduction

04/10/2019


Les apparences sont parfois trompeuses, et, pour ce qui concerne un album ou un groupe, l’on peut très vite faire fausse route, comme c’est le cas avec cette pochette d’album, ou bien encore le nom du groupe, qui nous renvoie au folklore français, et incidemment à quelque chose évoluant dans le registre du black metal, ce qui est le cas pour les deux autres formations recensées partageant le même nom. Pourtant, dès les premiers arpèges du titre Dawntreader, l’on sait pertinemment la provenance géographique de Gévaudan, déroutante si l’on s’en tient strictement à son patronyme: l’Angleterre. C’est tellement une évidence et c’est quelque chose qui sera tenace sur l’entièreté de ces quelques cinquante trois minutes. S’il aura fallu six années au quatuor, depuis sa création en deux mille treize, pour sortir ce premier album, Iter, il a toutefois publié deux EP auparavant, qui laissaient déjà entrevoir leur personnalité. Un tempérament qui sera clairement affirmé sur cet album bien construit et généreux en moments forts.

À l’instar de cette pochette aux tons gris dominants, c’est aussi un camaïeu de ces tonalités que nous dévoilent les Anglais sur ces cinq titres. Si je persiste à vous indiquer que ce groupe sonne on ne peut plus conforme à ce que l’on attend d’une formation provenant de ces terres c’est qu’il pratique un doom metal assez classique, faisant toutefois le pont entre classicisme et modernité. L’on parle bien d’un groupe qui aura puisé ses influences aussi bien chez un My Dying Bride, dans cette fatalité plombante et dans cette manière de proposer ses riffs de guitares, - le riff principal de Maelstrom ayant quelques similitudes avec celui du titre Sear Me -, mais, et surtout même, chez un Tefra, un Unsilence et bien évidemment chez un Warning. L’on retrouve ici ce côté très poignant, aussi bien dans le chant d’Adam Pirmohamed, que dans ces mélodies et ces quelques harmonisations. Les deux premiers titres sont d’ailleurs de beaux exemples de mélancolie et de tristesse, tout à fait inhérentes au genre et très communes aux références suscitées. Le va et vient entre arpèges glaçants, à vous plomber une belle journée ensoleillée, et riffs plus pesants sur Dawntreader est un modèle du genre. C’est simple, basique, mais cela fait toujours son petit effet. C’est aussi le cas de la première partie du titre Dustwalker, tout en finesse et spleen déployés. C’est bien en cela que le groupe ne peut nier ses origines géographiques, montrant ainsi une volonté de prolonger un certain héritage.

Pour autant, si l’on pourrait craindre une formation trop scolaire, il y a toutefois quelques éléments qui penchent en faveur d’une personnalité affirmée, ou, tout du moins, d’une certaine modernité. En cela, le groupe maîtrise très bien cette faculté à faire monter l’intensité au sein de ses compositions, comme sur Dawntreader, The Great Heathen Army ou Dustwalker. L’on sent ici la patte d’un Yob, mais un Yob débarrassé de ses effluves psychédéliques pour les remplacer par quelques choses de plus païen et de plus tragique dans l’esprit. Bref, un Yob où Mike Scheidt aurait écouter en boucle The Gathering Wilderness de Primordial. C’est cela qui fait aussi le particularisme de Gévaudan, et le rend d’autant plus attachant: ce côté à la fois nostalgique et tumultueux. Où le riffing répétitif n’en devient que plus obsédant et profère tout autant de coups de semonces dans un moral mis en berne devant une certaine vacuité actuelle. C’est quelque chose qui est assez palpable sur cet album, mais que l’on ressent surtout sur des titres comme Saints of Blood et Dustwalker, dans ces instants où après avoir ressassé un certain abattement, le groupe n’hésite pas à prendre son destin en main et à se montrer plus incisif et impétueux, pour ne pas dire plus extrême. Ce n’est guère anodin si ce sont sur ces titres où Adam Pirmohamed va alterner entre chant clair pleurnichard et growls bien baveux ou chant saturé quasiment black metal, histoire de bien exprimer une forme de colère. Si j’avais un peu coincé lors de la découverte de cet album sur ces passages aux chants saturés, ils prennent pleinement sens au fil des écoutes, nous offrant d’ailleurs un final d’album tout en intensité.

 Il est évident que l’on nous joue ici l’homme seul face aux éléments, mettant à nues ses sentiments, ses ressentis, son amertume et ses regrets, seul, au bord d’une falaise, sous une pluie battante, défiant ainsi les éléments et les dieux anciens. Ce sont toutes ces images qui viennent à l’esprit à l’écoute de ce premier album, fort réussi, de Gévaudan. Les influences sont clairement bien digérées, et l’on n’a aucunement un amalgame mal dégrossi et mal assimilé sur cet opus. Pour autant, le chemin emprunté ici est tout autant pavé de bonnes intentions qu’il peut s’avérer tortueux, tant les Anglais savent ici souffler entre l’incandescent et le glaçant, rappelant un peu, de manière lointaine, Latitude Egress, avec qui il partage cette même bivalence entre esprit païen et résigné, mais sans jouer les fiers à bras ou les braves guerriers indestructibles. L’on n’est évidemment pas dans ce type d’ambiance ici, mais bien dans une certaine forme de solennité et de respect pour un passé révolu, qu’il soit réel ou imaginaire, mais avec les pieds fermement ancrés dans une réalité toujours aussi déprimante. C’est tout ceci qui se dévoile sur ce Iter, avec justesse et classe.

                                                                                                                                                                       A.Cieri

Lien Bandcamp : https://gevaudan.bandcamp.com/album/iter


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