lundi 29 mai 2023

Vomi Noir - l'Innommable Remugle et la Mélopée Cavernuleuse des Râles Agoniques

Bones Brigade

14/02/2023





On a beau être sur un blog s'appelant Les danses nocturnes, se complaire dans les émotions nuancées de l'obscurité et faire étalage des côtés les plus raffinées de notre sentimentalité, on n'est - en tout cas, me concernant - jamais contre un disque qui latte simplement la gueule en poussant les potards du gras et du gore au maximum.

On peut donc déguster jusqu'à en avoir ras la gorge cet album qui donne l'impression de bouffer toutes sortes de viandes par paquets, voire même un peu de la sienne tant le mukbang est poussé à l'extrême, et se consoler du deuil sans fin faisant suite à la mort d'Abscess. Franchement les gars, changez rien.

Cripure

Lien bandcamp : https://vominoir.bandcamp.com/album/linnommable-remugle-et-la-m-lop-e-cavernuleuse-des-r-les-agoniques

Enslaved - Heimdal

Nuclear Blast 

03/03/2023





La fluidité est une qualité particulière en musique et plus particulièrement dans le metal au sens large, ce pan dédié au riff. Une qualité rare, dont l'absence ne dérange pas nécessairement - du moins pour un ancien fan de hardcore chaotique tel que moi - mais qui devient d'une force incroyable quand elle est présente.


Heimdal est, on le devine, fluide. D'une fluidité de chaque instant, essentielle, naturelle, aussi chimiquement pur que de l'eau. On pouvait bien se demander ce qui restait à explorer pour Enslaved, ce groupe qui a déjà retourné son style maintes et maintes fois, exploitant chaque face de sa mosaïque, du gris antique de Below the Light au froid de ISA, du blanc osseux de Vertebrae à l'arc-en-ciel victorieux de Riitiir.... Jusqu'à patiner dans la synthèse prenant ici ou là des allures synthétiques, lors des plan plan (mais avec quelques jolis plans) derniers albums.


Heimdal, lui, n'a rien de tranquille, de "fait à la chaîne". Il trouble et pourtant s'assimile directement, paraît tout naturellement - un mot auquel on pense souvent ici - faire le pont entre progressif et Thrash, Black metal et psychédélisme, noirceur des émotions et pureté des sentiments, dans une ambiance qui oscille entre un certain goût pour l'horreur dans des accélérations aussi vivifiantes que monstrueuses et beauté contrastée mais vécue sans regrets, une contemplation d'un paysage où s'acceptent le froid et la brume. Voilà peut être bien ce qui peut rester à accomplir à une formation comme Enslaved : sortir un album tranquillement dominateur, narratif sans jamais l'appuyer, à la musicalité faisant directement travailler l'imaginaire. 


On pourrait épiloguer encore longtemps sur cette atmosphère nordique qu'il parvient à convoquer, élaborer sur cette étrangeté fondamentale qui s'accueille comme si elle avait toujours fait partie de nous. Mais n'oublions pas l'essentiel : Heimdal, au-delà de sa peinture d'une cosmogonie complexe se révélant à sa source, poutre comme Enslaved ne se l'était plus autorisé depuis quelques disques.


Hé, on écoute du metal après tout, pas des livres.


Cripure


Lien bandcamp : https://enslaved.bandcamp.com/album/heimdal

mercredi 17 mai 2023

Ultraphallus - The Art of Spectres

Sub Rosa

12/06/2016




Bodychoke, déjà. Mais, dans cette première incursion d'Ultraphallus en terres grises, le groupe de Kevin Tomkins n'est ici qu'un sentiment flottant, un vernis qui corrompt ce qu'il est censé protéger, à savoir un panorama entre noise rock et post punk au spectre large. Tout un art, comme ils disent, de marier à ce point l'insularité d'And Also the Trees, les névroses cocotte-minute d'Oxbow, la bête prête à surgir du labyrinthe de Swans... Toujours par l'accumulation de vignettes, des photographies troubles, des corps d'hommes flous où surnage une impression de malaise constant, de virilité froide et mal vécue, un brin nostalgique mais sans tendresse.

Tout était déjà là en somme, dans un œuf prêt à craquer. Mais là où No Closure est un voyage en zone liminale vers ce grand glacier des émotions qu'il affiche, The Art of Spectres est encore à quai, regarde une dernière fois derrière lui pour constater que ses yeux ne voient plus le monde qui faisait son quotidien comme avant, terni, flétri, avec la tentation de tout brûler avant sa disparition pour que cette destruction programmée soit son oeuvre - sans jamais sauter le pas, indécis sur où commencer, soi, les autres ou le monde. Un disque moins impressionnant que ce qui lui succédera, mais pas moins intime. 


Cripure


Lien bandcamp : https://subrosalabel.bandcamp.com/album/the-art-of-spectres

lundi 1 mai 2023

Harvey Milk - A Small Turn of Human Kindness

 Hydra Head Records

18/05/2010



La semaine dernière, un résident de l'internat thérapeutique où je travaille est parti. Il a enfin trouvé un boulot adapté dans une autre institution après des années de recherche. Ce n'était pas facile de le voir se préparer à déménager, un peu pour nous mais surtout pour lui. Il est une personne solitaire, aimant parler, blaguer, débattre longuement mais gardant pour lui une zone de confort, une bulle de sécurité où personne n'a la droit d'entrer.

Cette bulle, c'était sa chambre, qu'il devait ranger et vider avant son départ. Il fallait le voir, faire des allers-retours de son espace à la salle commune, avec son corps long, maigre et tendu, ses yeux qui regardent partout et nulle part. Un étranger aurait pu dire qu'il n'allait pas bien, nous, nous savions qu'il gérait du mieux qu'il pouvait au quotidien, psychose, syndrome de Diogène, potomanie et addictions gardés à quai par les médicaments, les rendez-vous réguliers avec les psychiatres ainsi que la religion, qui occupait une grande part de son quotidien. Il n'allait pas si mal, malgré des colères, un imaginaire viriliste qu'il aimait rappeler aux plus jeunes et même aux professionnels sous couverts d'un humour qui faisait régulièrement mouche. Son cerveau pouvait chauffer, les excuses étaient toujours dites, à demi-mots et avec une accolade qui signifie que ça va, on oublie, la blague comme mise à distance. Pas facile tous les jours, mais agréable.

Mais il devait partir et cela lui était difficile. Le dernier soir avant son départ, il a enfin répondu à nos invitations à l'accompagner dans le rangement de sa chambre. Il est venu me voir et m'a invité - autorisé - à entrer dans son futur ancien chez lui. L'odeur, mélange de renfermé, de nourritures, de parfum pour homme bon marché et d'épices, est ce qui m'a traversé dès le départ. Concernant les monticules divers et variés, je m'y attendais. J'ai eu la sensation de voir des piles de cartes postales, comme des lettres de son cerveau au monde, des tas désordonnés, chaotiques, imposants mais faisant sens quand on connaît le bonhomme. Des DVDs de films d'action, de mafia ou d'amours naïfs, des consoles, lecteurs, radios rapiécés ou cassés, des prospectus avec des choses griffonnées dessus ... Et, sur sa tête de lit qui n'est accolé à aucun mur, presque au centre de la pièce (mais pas tout à fait, ce qui crée un malaise spatial quand on est à l'intérieur), une feuille A4 d'un dessin de vipère noire pixellisée collée au dessus de son oreiller.

Il m'invite. Je rentre. Il pose une chaise dans la pièce et me propose de m'asseoir. Il me regarde, au milieu de son petit monde aux volets fermés, uniquement éclairé par quelques veilleuses. Il me dit que c'est dur. Je lui dis que oui mais qu'il faut le faire. Qu'il peut y arriver et qu'on va trouver un moyen. D'extérieur, je suis le soignant, celui qui cherche des méthodes, qui tâtonne et suggère, petits bouts par petits bouts, une valise, un sac poubelle, tranquillement, sans brusquer. À l'intérieur, ça me flingue, voir ce grand fil s'effondrer, quitter son univers comme on dit au revoir au monde, une séparation qui est vécue comme une rupture avec tout. Il a su - tenu à ? - rester digne. Une fois que nous étions sortis, il était redevenu ce macho gueulard et nerveux qu'on connaît, lui et moi porteurs d'un secret qui était resté dans sa chambre, rangé comme tout le reste dans un sac. Il est parti définitivement le lendemain. Je ne travaillais pas et c'était mieux comme ça.


Le lien avec ce disque d'Harvey Milk ? Une fois chez moi, j'ai tout de suite voulu l'écouter. Sa musique de mec qui en a gros, son atmosphère polluée, aussi bien dans sa forme sludge, noise rock, drone, que dans son fond, plein de regrets, de vérité nue, de combats intérieurs aux petites victoires médiocres de loin et importantes de près... Ça a soigné le soignant en moi, à ce moment. Cet album est un classique, avec ce que cela comporte de qualités objectivées un brin impersonnelles, mais il a trouvé une résonnance particulière chez moi. Après tout, c'est bien aussi pour ça qu'on écoute de la musique non ? Trouver dans un autre langage ce qu'on ne peut pas exprimer soi-même. Quand le vécu devient un peu trop fort et qu'on en sort un peu mort, ce genre de choses.


Il va me manquer, ce type.


Cripure


Lien bandcamp : https://harveymilk.bandcamp.com/album/a-small-turn-of-human-kindness

Anohni and the Johnsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

Rough Trade/Secretly Canadian 07/07/2023 Anohni avait déjà brisé sa coquille sur Hoplesseness paru 7 ans plus tôt. Sans les Johnsons mais ...