mardi 14 mars 2023

The Midnight Order - Mathieu Bablet

Label 619

16/11/2022


La figure de la sorcière est particulièrement présente dans les créations actuelles. Certes, on peut remonter son traitement comme personnage principal dans le cinéma ou la bande dessinée à plusieurs décennies - l'exemple de "La Belladone de la tristesse" de Eiichi Yamamoto ou de "Häxan" de Benjamin Christensen venant directement en tête - mais l'image de la femme au chat noir et aux maléfices paraît plus abordée que jamais, souvent en lien avec des thématiques et combats actuels. Icône permettant d'aborder le patriarcat, la sororité ou simplement un imaginaire fantastique, elle court le risque de voir son pouvoir de subversion s'atténuer et devenir une métaphore parmi d'autres. À force d'en parler, de faire connaître et reconnaître, ne risque-t-on pas de javeliser ce qui est synonyme de marginalité, de libération, de symbole des victimes de l'oppression par les hommes et la religion chez la sorcière ?

Disons-le tout de suite : "The Midnight Order" n'évite pas cet écueil. Imaginant un ordre traversant les âges de femmes dotées de pouvoirs magiques chargé de réguler celles s'en servant à des fins personnelles, il enferme cette figure au sein d'une histoire pop suivant deux collègues, leurs histoires personnelles et leur relation. Une histoire d'amitié et d'amour que Mathieu Bablet avait abordé, à mon sens avec plus de succès, dans son chef d'oeuvre "Carbone et Silicium", qui se trouve ici engoncée dans des réflexions parfois peu approfondies car foisonnantes (le post colonialisme, la grossophobie, les problèmes familiaux, le féminisme...).

Cependant, malgré ces quelques défauts, "The Midnight Order" contient assez de qualités pour conseiller sa lecture (on ne va pas demander à une bande dessinée d'être aussi riche et politique qu'un "Caliban et la sorcière" de Silvia Federici...). Son parti pris de créer une œuvre collective de dessinateurs et auteurs permet une diversité de styles tout en restant cohérent. Liés par un fil rouge, les participants parviennent à enrichir l'ensemble notamment par de très belles sorties de route, à la manière du chapitre "Variations sur le thème de la mort" rappelant l'horreur fine d'une Emily Carroll ("Dans les bois" ; "Quand je suis arrivée au château"). Il y a également les "Midnight Files" de Claire Barbe, retraçant un historique de la sorcellerie ainsi que de certaines cosmogonies (telle que celle des aborigènes d'Australie) qui pourront plaire aux personnes avides de découvrir ou approfondir leurs connaissances sur certains sujets peu traités avec le même respect présent dans cette bande dessinée. Entre intimité (l'adolescence abordée par le chapitre "Réminiscences" par exemple) et grand angle (on voyage autour du globe et des époques), "The Midnight Order" est ambitieux, parvenant majoritairement à convaincre dans son exercice a priori casse-gueule.

Argument final, l'objet est également très beau, à la hauteur des standards de qualité de la maison d'édition Label 619. En résumé, "The Midnight Order" est une bande dessinée contenant à la fois le meilleur de l'auteur (sa réappropriation d'univers connus, sa finesse dans la peinture des rapports entre les personnes, une réalisation souvent à la hauteur des ambitions...) mais aussi un certain simplisme alourdissant par moments la lecture. Heureusement, on est ici plus proche de la sensibilité de "Carbone et Silicium" que du discours manquant de nuances de "Shangri-La". Une œuvre avant tout destinée à celles et ceux déjà charmés par les créations de son maître à penser mais dont on ne doit pas faire l'impasse si les histoires de sorcière nous passionnent.


Cripure


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Anohni and the Johnsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

Rough Trade/Secretly Canadian 07/07/2023 Anohni avait déjà brisé sa coquille sur Hoplesseness paru 7 ans plus tôt. Sans les Johnsons mais ...