dimanche 10 décembre 2023

Urfaust - Untergang

Vàn Records


11/08/2023




Chute, naufrage, perte, déclin, disparition, ruine, destruction, coucher, mort, effondrement, extinction, désastre, crépuscule, échec et défaite; voici toutes les traductions que l’on peut trouver pour le mot Untergang. Autant dire que le choix de patronyme pour son ultime album n’a pas été choisi à la légère de la part d’Urfaust, tant toutes ces nuances collent bien à ce mot de la langue de Goethe pour décrire, on ne peut mieux, le contenu de cet album. Un album sortit au milieu de l’été deux mille vingt trois, un peu à la surprise générale, car annoncée juste la veille de sa sortie officielle, pour que ce même jour le duo batave annonce sa séparation, après vingt années d’activité et une discographie pléthorique et variée. La peinture d’Izabela Carlucci dépeignant ce diable sans doute bien trop ivre pour avoir une sursaut d’énergie et en train de se morfondre dans une sombre taverne nous conforte bien dans cette saveur qu’aura cet ultime album: quelque chose d’à la fois désespéré, de confus, de total abattement, ce sentiment que tout est fichu, que c’en est fini, une fois pour toute et qu’il est temps de rejoindre l’au-delà. 


C’est sans doute facile à dire lorsque l’on sait que c’est le dernier album d’un groupe marquant à titre personnel, mais il y a bien cette saveur terminale qui sous tend sur ces quelques trente sept minutes et qui est même plus qu’indéniable au fil de son écoute. Et, d’une certaine manière, sans vouloir faire l’exégète de bas étage, on le sentait venir depuis Teufelgeist et Hoof Tar: ce sentiment qu’Urfaust avait repris ces vieux habits de clochards mystiques et toute cette aura moyenâgeuse qu’il avait un temps délaissée durant sa période que je qualifierais de cosmique. C’est même une évidence sur chaque titre, avec ou sans chant, car l’album alterne entre titres conventionnels et titres plutôt instrumentaux et ambient. Sans doute n’est-ce pas quelque chose de nouveau en soi, mais cela conforte tout de même cette sorte de retour en arrière, avec ce que le groupe proposait sur ses premières réalisations, celles qui avaient conforté cette formation comme étant vraiment à part. Les claviers grinçants refont leurs apparitions et sont souvent la trame d’une bonne part de quelques titres, mais, rassurez-vous, le duo n’en a pas pour autant laissé de côté son black metal unique. L’on sent tout le côté inquiétant que vont prendre ces instruments sur ces plages instrumentales assez menaçantes dans l’esprit, comme la parfaite bande son pour un cauchemar ou un delirium tremens. L’on ne cherche plus dans ces instants là l’élévation, mais bien de rester au raz-du-sol, incapable de se relever, de résister à ces forces qui nous tirent vers le bas. Comme si le fait d’avoir voulu toucher au firmament n’avait eu que pour résultat le retour à l’obscurité. Il n’y a pas de place non plus à l’introspection ou à ce sentiment de solitudes au milieu du vide, mais bien quelque chose de plus effrayant, où l’on sait, avec toute la lucidité qu’il peut nous rester, qu’au bout, il n’y aura rien d’autre que le néant ou ce précipice béant dans lequel l’on va s’engouffrer, et qu’exprime parfaitement le titre final Abgrund, la meilleure conclusion que l’on pouvait escompter pour un tel album. 


La musique d’Urfaust ne ment point, elle n’a pas besoin d’autres artifices que ceux employés depuis ses débuts pour faire passer le message de cette fin annoncée. Même si l’on notera tout de même que l’on est bien loin du côté lo-fi des débuts avec une production bien ample qui laisse la place à tous les instruments. Le tout se fait le plus souvent sur un rythme assez lent ou plutôt mid-tempo, tempi les plus parfaits pour nous entraîner dans cette dernière danse. Les mélodies de guitares se font toujours aussi touchantes dans leurs effets et leurs motifs, et l’on sent rejaillir cette fibre un peu plus médiévale sur un titre comme Leere, avec ses chœurs lancinants en fond, renforçant ce côté processionnaire. L’on est toujours emporté par cette forme de rusticité de la musique des Néerlandais, toujours aussi répétitive, souvent construite sur deux riffs, souvent simples mais tellement bien trouvés, ou à peine deux mélodies, répétés jusqu’à plus soif, comme si l’on voulait créer une forme de transe, mais plus sous la forme d’une danse de saint Guy, que quelque chose de mystique. Car l’on titube toujours autant sous les méfaits de mauvais alcools ingurgités à trop haute dose, l’on chancèle plus que l’on chemine. L’on retrouve bien là ce qui fut une des marques de fabrique d’Urfaust, ce côté à la fois minimaliste et répétitif, mais capable de vous enivrer avec des mélopées qui marquent les esprits, et qui, parfois, donnent l’impression de resurgir de siècles passés. L’on a l’impression d’entendre parfois un vieil orgue de barbarie tout distordu et grippé et déversant des ritournelles désenchantées, notamment sur Reliquienstaub, qui marque une petite césure dans la construction de cet album. À partir de ce titre, tout devient un peu plus confus, presque irréel, sortant de nulle part en nous entraînant pendant quelques minutes, avant de retourner dans les limbes. 


Comme si l’on était dans un état semi-conscient, que nos perceptions étaient soudainement diminuées et que tout ce qui se trame autour de nous n’avait rien de réellement tangible. Cette impression que tout ceci n’a rien de concret mais porte en soi quelque chose d’assez inquiétant, voire de déchirant. Déchirant, c’est bien le terme adéquat pour décrire le chant de IX, toujours aussi magistral dans son interprétation d’une forme de folie et de mysticisme désabusé, hurlant avec toujours autant de conviction. L’on retrouve même un chant plus âpre sur cet album, pas autant criard qu’aux débuts de la formation, mais l’on se rapproche de cet effet de douleur transmise par ses vocalises, et cela reste toujours aussi touchant. C’est même, d’une certaine manière, assez réconfortant de retrouver notre clochard et ses hurlements éplorés. Par certains aspects déclinés sur cette réalisation, j’y ressens pas mal de similitudes avec Der Freiwillige Bettler, même si l’emphase est moins saisissante ici, mais j’y retrouve, en partie, cette même aura de déchirement et de renoncement, sans doute plus prononcée pour cette dernière sensation. C’est comme si l’on avait ici une sorte de miroir déformant de ce troisième album, mais avec un regard plus cynique et une âme bien plus meurtrie par la sensation d’avoir échoué en voulant toucher les cimes et qu’au final c’est bien vers les abysses que l’on va chuter, à l’instar d’un Faust ne pouvant échapper à Méphistophélès et devant le suivre aux Enfers. Il y a bien cette sensation et cette trame qui sont un peu des lignes directrices sur cet album et qui trouvent une conclusion parfaite avec Abgrund, sur lequel le groupe nous sert, pour une dernière fois, un titre lancinant sur plus de sept minutes et qui va s’effilocher dans le vide sur sa fin, laissant le silence comme seule épitaphe à ce dernier chapitre. 


C’est ainsi que s’achève la dernière œuvre d’Urfaust, dans une forme de misérabilisme et de plaintes, nous transportant aux frontières de la folie et du réel, avec pour seul transport une forme de douleur et le retour à des sonorités plus immémoriales. Bien terminer sa discographie n’est pas donné à tout le monde, c’est pourtant ce qu’est parvenu à faire Urfaust avec ce dernier album, au titre ô combien approprié. Si l’on regarde de manière rétrospective avec tout ce que le groupe a pu nous proposer comme évolutions et expérimentations sur la précédente décennie, il y a quelque chose de réconfortant de le voir reprendre sa forme initiale, ou, tout du moins quelque chose s’y rapprochant, car c’est bien un groupe qui a muri de ses pérégrinations que l’on retrouve ici. Mais c’est comme si les deux musiciens nous devaient ce retour à quelque chose de plus sale et de plus méphitique, un peu repoussant de primes abords, mais tellement captivant par la dramaturgie qu’il décline sur ces sept titres. C’est ainsi que le boucle devait se terminer: elle laisse derrière elle un sentiment d’amertume, car l’on n’aura plus de nouvelles réalisations à se mettre sous les oreilles, et aussi un sentiment de vide, car cette formation aura été tellement fascinante durant ses vingt années d’existence. 


A.Cieri



https://urfaust.bandcamp.com/album/untergang

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