samedi 29 avril 2023

Ultraphallus - No Closure

Head records / Jauneorange

21/04/2023




Bodychoke. Nous sommes quelques-uns à vénérer le défunt groupe - bien trop méconnu - de Kevin Tomkins, notamment son album Cold River Songs heureusement trouvable encore aujourd'hui grâce à une réédition par Relapse.

Aussi, quand un groupe rappelle son post punk de frigo fricotant avec le noise rock le plus rêche, on fonce, rapidement sous le charme et prêt pour un plaisir masochiste étrangement mélancolique. Ultraphallus est pourtant un nom croisé à maint reprise - de mémoire, à commencer sur le regretté site Slow End - mais jamais pris au sérieux. On peut comprendre pourquoi ! Quelques bons mots sur le magasine New Noise, quelques descriptions alléchantes, une sortie sur un label qu'on estime, auront suffi pour enfin sauter le pas et plonger dans cette eau froide en direction du glacier qu'est cet album.

No Closure fait donc renouer avec cette sentimentalité congelée qu'on pensait ne jamais retrouver totalement ailleurs, celle dont la découverte du corps de Laura Palmer dans Twin Peaks devient un tableau figuratif, aérien, macabre, sensuel et bizarrement enivrant. Pour autant, il serait réducteur de l'arrêter à une perpétuation de ce que nous a offert le créateur de Mindshaft. Bodychoke n'est ici qu'un point de départ, un marbre attaqué au burin, de même que Swans, Godflesh ou Joy Division, tous conviés dans cette grande bouffe où l'on n'a pas pris le temps de réchauffer les plats.

Tout cela, Ultraphallus se l'approprie avec une classe bien à lui, trouvant des liens naturels entre ces formations faisant certes sens mises les unes aux côtés des autres mais si hermétiques qu'on n'imagine mal une zone liminale où toutes se retrouvent. Les Belges y parviennent, avec l'élégance de celui qui ne montre aucun effort dans son geste, geste néanmoins sérieux, d'une gravité de chaque instant. 

Ce qui surnage dans cette mer gris-bleu est ce jusquauboutisme présent dès le départ, dans ce premier morceau aux influences My Bloody Valentine, mâle et mal, appel de ce qui aurait pu être dans un monde un peu meilleur. Plus qu'une nostalgie d'une musique qui redevient à la mode depuis un moment (on ne compte plus les groupes se réclamant d'un héritage post punk indus, les années 2020 semblant se lier au défaitisme des années 80), c'est finalement à Harvey Milk qu'on pense plus qu'à un autre ici, sa capacité à plomber l'ambiance, sa classe de chien battu, son réalisme bien trop marqué pour se dire que tout cela n'est que du cinéma, cru comme quand on se dit qu'on ne sait pas ce qu'on a en ce moment, fatidique comme quand la phrase "c'était trop beau pour être vrai" vient en tête avec son fracas sonnant la fin du bonheur.

On ne peut que parler longuement et de manière éparpillée de No Closure, sa tristesse lointaine, ses assauts proches, sa masculinité mal à l'aise avec elle-même. Court en durée mais riche dans le peu de temps qu'il s'accorde, il donne la sensation de déballer tout sur scène avant que la sécurité intervienne et le jette dans la rue. Forcément, on pourra dire que son discours manque de liant d'un titre à l'autre, que l'on écoute plus des vignettes qu'un paysage. Pourtant, quand il se termine, on a envie de dire que l'on comprend ce qui est traversé ici. Que, dans nos heures mauvaises, on se noie aussi dedans.


Cripure


Lien bandcamp : https://head-records.bandcamp.com/album/no-closure

vendredi 14 avril 2023

Cirkeln - A Song To Sorrow

True Cult Records

25/03/2022





La peinture de Roger Garland, intitulée The Gates of Morn, - dépeignant l’entrée du soleil par l’Est, dans le monde, après avoir traversé le Grand Vide, selon les écrits de Tolkien - et utilisée pour ce deuxième album de Cirkeln laissait présager quelque chose d’épique. Ce n’est pas le premier groupe à utiliser une peinture de cet artiste, puisque le grand Summoning l’avait déjà fait, et c’était déjà le cas sur le premier album Kingdoms That No One Remembers. Ces trois quart d’heures de musique confirmeront amplement cette impression et laisseront porter votre imaginaire vers d’autres mondes. Formée en deux mille dix neuf et comptant déjà un EP et deux albums, Cirkeln nous vient de Suède et est le projet de Våndarr, qui, malgré les embuches, parvient à poursuivre sa voie. En effet, cet album n’aurait jamais pu voir le jour en raison de l’apolitisme et de la neutralité du précédent label du projet, plus prompt à dégager de son roster un musicien ayant des convictions bien ancrées dans l’antifascisme et qui avait eu le toupet de partager un extrait de cet album sur le canal Antifascist Black Metal durant l’été deux mille vingt et un. Voici un bel exemple de ce qu’est réellement l’apolitisme de la scène metal et de ses acteurs, plus enclins à se voiler la face devant certaines dérives, à laisser l’intolérable infiltrer la scène métallique et à condamner celles et ceux qui luttent contre cela. Fort heureusement, Cirkeln a trouvé refuge chez l’excellent label True Cult Records.


Il aurait été criminel de ne pas profiter de ce second album, A Song To Sorrow, tant le potentiel dévoilé précédemment s’est ici affirmé de belle manière. Si l’on vous parle de black metal épique pratiqué par un one man band en provenance de Suède, il y a fort à parier qu’un nom va être dans tous les esprits: Bathory, et plus précisément sa période viking. L’on ne peut nier qu’il y a de cette influence chez Cirkeln, notamment dans cet aspect épique, dans l’utilisation de claviers donnant une emphase héroïque à sa musique, et dans les passages au chant clair ou avec des chœurs plus guerriers. Cela s’entend aussi dans ce chant black metal bien écorché avec pas mal de réverbération, mais qui me fait aussi penser au Zemial de In Monumentum Mais plutôt que de délivrer un message ambigüe sur la fierté d’être un descendant des vikings, l’on a ici des textes plus métaphoriques renvoyant à l’heroic fantasy. C’est en tout cas quelque chose que l’on ressent sur des titres comme The March ou Thine Winter Realm Enthoned. Encore que ce sur ce dernier, les claviers nous rappellent beaucoup Summoning, à l’instar de ceux sur Natassja, et l’on se laisse facilement aller à rêver d’aventures dans la Terre du Milieu. Mais pour autant, ce n’est pas la seule influence qui est saillante chez Cirkeln et notamment sur cette réalisation. En effet, et c’est assurément cela qui rend cette réalisation encore plus intéressante, c’est que le Suédois nous donne ici une belle forme de syncrétisme de ses influences provenant du black metal des années mille neuf cent quatre vingt dix, qui sont ici bien digérées.


L’origine géographique du projet va d’ailleurs se ressentir sur ce côté black death metal suédois, dans ce qu’il de plus épique: les passages bien acérés et très mélodiques retrouvés sur une bonne part des titres nous renvoient tantôt à Dissection, notamment quand une certaine noirceur prend le devant, tantôt à Dawn et Vinterland, quand l’accent est porté sur le côté purement homérique de la chose. C’est assez flagrant sur le titre éponyme et sur Vaults Behind Vaults. Mais Våndarr ne s’est nullement fixé de frontières et il s’est également inspiré de quelques formations norvégiennes, car je ne peux m’empêcher de penser à la seconde période d’Immortal lors de nombreux passages mid-tempo, accouplés à des paroles assez axées sur l’obscurité du nord. Et il est ardu de ne pas penser à Isengard ou à Storm sur le titre Vandraren, au chant viking plus Fenriz que jamais. C’est là un aspect bienvenu car il renforce ce côté "nordique" de la musique de Cirkeln, et où l’on sent aussi une volonté de se ré-approprier certains codes pour en faire quelque chose de tout aussi noir mais sans le côté nauséabond. Évidemment, c’est bien beau d’avoir de telles influences, mais cela passe bien mieux lorsque l’inspiration est au rendez-vous. Et l’on peut dire que le Suédois s’est appliqué, tant dans les excellent riffs qu’il propose, que dans la manière d’avoir pensé et écrit ses titres. Le propos est suffisamment varié d’un titre à l’autre pour que l’on n’ait aucunement cette impression de monolithisme musical. Surtout que le tout est saupoudré de quelques influences à proprement parler plutôt epic metal, dans ce mélodisme poignant, comme ce passage au twin leads sur Var Blåser Vinden.


Si un souffle guerrier domine l’ensemble de cette oeuvre, il en émane quelque chose d’un peu morose, quelque chose de plus terni par les âges. Mais l’on y ressent aussi une part d’aigreur et d’anxiété qui se dévoilent au fur et à mesure des écoutes. En cela réside l’une des forces de ce A Song To Sorrow: il décline quelque chose de plus profond sur ces huit titres que ce que l’on aurait pu penser en le découvrant. Mais c’est surtout le fait que Cirkeln remette au goût du jour un black metal estampillé années mille neuf cent quatre vingt dix, et notamment cette fameuse scène suédoise, qui rend cette réalisation vraiment attachante. Nombre de ces titres n’auraient pas dépareillé s’ils étaient sortis il y a plus d’un quart de siècle, sans que l’idée de plagiat ne vienne à l’esprit à un seul moment. Et l’on retrouve ce même type d’ambiance et cette même aura à la fois mélodique et belliqueuse sur cette réalisation, quelque chose qui permet des puiser les ressources nécessaires pour se sortir de l’obscurité et être prêt à faire face aux plus grand défis qui s’interposent devant nous et de relever fièrement la tête. 



https://cirkeln.bandcamp.com/album/a-song-to-sorrow



A.Cieri

mercredi 12 avril 2023

Spirit Possession - Of the Sign...

Profound Lore Records

31/03/2023


"Il faut imaginer Dédale bourré" serait sans doute ce que déclarerait Albert Camus au sujet de ce nouvel album de Spirit Possession s'il revenait d'entre les morts avec un fort attrait pour le metal nécromantique. Pour ma part je me contenterai de dire que si le premier jet du duo Peacock / Spungin peut s'assimiler à un black/punk furieusement heavy porté en étendard, fier de lui, de ses origines et de ses trouvailles personnelles, sa suite conserve la forme pour en montrer un fond bien plus labyrinthique et diabolique.

Là se situe le prix de cette nouvelle variation, dont je peinais à voir autre chose qu'un palliatif au défunt Katharsis lors de mes pensées les moins tendres envers elle. "Of the Sign..." possède un sang mêlé reconnaissable entre mille, issu de "VVorldVVithoutEnd" aussi bien que Funereal Presence et Negative Plane mais, comme l'a dit une estimée connaissance, il fait désormais davantage penser à Urfaust dans ses tricotages mystiques et alcooliques. Un Urfaust heavy-thrash chevauché par le diable, aussi extatique que masochiste et hors de contrôle... possédé, en somme.

Sûr qu'il faut s'accrocher, même si cela demande moins d'efforts que ce qu'on peut le penser au préalable. Mais n'est-ce-pas le lot de tout cheminement spirituel ? Celui de Spirit Possession a juste ceci de particulier qu'il vous jette en guenilles enflammées dans son lacis créé à Sa Gloire. L'expérience en devient encore un peu plus particulière, sans se déparer de cette jouissance ressentie lors de sa première rencontre avec le projet.


Dommage cependant que quelques claviers viennent aérer l'endroit de leurs tonalités Sci-fi étranges et surtout étrangement hors de propos, comme pour rallonger des lampées du coup moins fortes en gueule. Vous croyez qu'on n'allait pas remarquer que le vin a été coupé, même immolé ?


Cripure


Lien bandcamp : https://spiritpossession.bandcamp.com/album/of-the-sign

samedi 8 avril 2023

Dawn Ray'd - To Know the Light

Prosthetic Records

24/03/2023



Il y a quelque chose d’un peu prophétique dans le titre de ce troisième album de Dawn Ray’d, « To Know the Light », en ces temps incertains où l’obscurité, le désespoir et la peur de lendemains horribles prennent le dessus, où, surtout, les signes d’une période pré-fasciste sont de plus en plus probants. Lorsque chaque journée passée nous amène à déchanter quant à un avenir serein, à avoir la boule au ventre devant autant de signes eschatologiques et à ne connaître que des angoisses devant tout ceci. Connaître la lumière, c’est se remémorer ces moments de bonheur et de sagesse passés, c’est entretenir l’espoir, aussi fébrile puisse-t’il être, dans un avenir meilleur, et c’est aussi préparer les futurs brasiers de la révolte de ceux qui ne sont rien sur cette terre. C’est bien ici toute la trame de ce To Know the Light, après un Wild Fire sortit il y a deux ans et déjà annonciateur de cette flammèche qui ne demande qu’à s’embraser.


Jusqu’alors, Dawn Ray’d nous avait habitué sur ses précédentes oeuvres à délivrer son message anticapitaliste et antifasciste de manière imagée et un peu plus impersonnelle sur la base d’un black metal aux relents médiévaux, qui se rapprochaient assez grandement des vieux Abigor. Les Anglais ont d’ailleurs pour originalité d’avoir en la personne de Simon Barr un chanteur et également violoniste, son instrument intervenant fréquemment sur les compositions du trio. L’on retrouve ce violon assez fréquemment ici apportant ainsi cette touche à la fois folklorique et nostalgique au black metal des Liverpuldiens. Évidemment, la personnalité de Dawn Ray’d s’exprime ici en territoires connus, avec cette facette mélodique et incisive qui le caractérise bien. Le groupe sait toujours être autant abrasif et direct, que ce soit sur The Battle of Sudden Flame, Inferno, WIld Fire ou sur un Sepulcher (Don’t Vote), où l’ambiance y est plus incendiaire et furieuse que jamais. Le dernier titre cité voit aussi quelques petites nouveautés avec l’apparition de quelques growls, venant trancher avec le chant black metal et bien écorché de Simon Barr. Pour autant, l’on a un groupe qui a su garder une réelle inspiration et qui a su étoffer ses titres avec différents éléments, ce qui fait que l’on a assez rarement de titres qui foncent tête baissée. Les moments intenses alternent ici assez souvent avec d’autres éléments plus nuancés, voire intimistes, ce qui met encore plus en exergue la furie que dégagent les moments les plus intenses et véloces, les meilleurs exemple étant sans doute Ancient Light et Go As Free Companions. 


Si l’on reconnait Dawn Ray’d et ses particularités d’emblée, l’on notera aussi que le groupe n’a guère envie de faire du surplace et incorpore quelques nouveaux éléments dans sa musique, sans toutefois dénaturer son propos. C’est aussi cela qui surprend, positivement, sur cet album et en renforce même son impact. J’en veux pour preuve ce passage grind sur les dernières secondes de Cruel Optimisms alors que ses premières minutes étaient clairement nostalgiques avec ses guitares acoustiques et son violon. L’on a aussi quelque chose de plus tortueux et bourbeux sur In the Shadow of the Past, au rythme plus lent et à la lourdeur accrue par rapport au reste des compositions, avant que tout le monde se mette en branle et reparte vers quelque chose de plus incisif, pour un final tout en finesse et nostalgie. C’est dans ces moments là que l’on ressent bien toute la maturité du trio, qui a pris le temps de peaufiner ses compositions et de laisser libre court à sa créativité. Mais c’est aussi dans ces titres, mais pas seulement, que l’on ressent un message tantôt teinté de pessimisme, tantôt emprunt de nostalgie. L’écriture des paroles a aussi évolué, dépeignant notre monde actuel et dénonçant aussi bien les violences policières, le système carcéral, l’avancée du fascisme, et notamment au sein du black metal, l’appauvrissement des masses et leur enfermement dans le désespoir au bénéfice de quelques personnes.


C’est dans cette optique dénonciatrice que l’on a aussi une autre facette du groupe qui est bien mise en exergue sur cette réalisation, celle des protest songs, où les éléments folkloriques sont mis en avant. Il y a un peu de cela dans Cruel Optimisms, mais c’est éloquent sur Freedom In Retrograde, très belle pièce acoustique, très touchante et sans doute l’une des premières où l’on y retrouve un peu d’espoir: "Though I have this creeping feeling that the dark is closing in, I still will fight for freedom for every living thing. If you still sing, then I’ll still sing ". Comment ne pas faire un parallèle avec ce que nous vivons actuellement, une telle acuité est réellement à souligner. L’autre belle surprise provient du titre Requital, chanté a cappella par les trois musiciens et renouant avec cette tradition de chansons de révolte, tout autant héritée du Moyen-Âge que des luttes ouvrières du dix-neuvième siècle. Les choeurs prennent d’ailleurs une grande place sur cet album, je pense à ceux présents sur Inferno, ou ceux sur le final de Wild Fire, dans une nouvelle version qui reprend le final de la version acoustique du mini sorti il y a deux ans. Dans tous les cas, ces chœurs et ce chant clair de Simon rend la chose encore plus poignante.


Comme pour parfaire cette image de témoins de notre monde, l’on sent bien une progression des sentiments et des ressentis que procurent ces dix titres au fur et à mesure que l’on avance dans cet album. L’on part ainsi sur une impression très noire et très pessimiste, voire même nihiliste, avec pour pinacle Inferno, - nous faisant remarquer que l’enfer est clairement bien réel et sur terre et non dans quelques imaginaires -, puis l’on poursuit avec quelque chose de plus contemporain, aussi bien dans le fond que dans la forme, avant de renouer, sur le triptyque final, vers quelque chose de plus révolté, de quoi nourrir les flammes de l’insurrection qui vient. Comment dire que ce To Know the Light réussit tout autant le pari d’être une réussite artistique et une belle évolution chez Dawn Ray’d, que celui d’être la parfaite bande son de cette année deux mille vingt trois, et plus particulièrement pour ce nous vivons dans le pays dit des droits des humains ? En tout cas, il m’est impossible de me détacher de cet album depuis sa sortie, d’y revenir sans cesse car il fait tout autant du bien qu’il me noue l’estomac par ses messages et sa musique, même si ses éléments les plus noirs donnent clairement du grain à moudre pour déverser rage et colère à la face des un pour-cent.


"The sun still shines,

And it would be a waste

To not only lose tomorrow

But also lose today".



https://dawnrayd.bandcamp.com/album/to-know-the-light



A.Cieri


vendredi 7 avril 2023

Death Engine - Ocean

 Throatruiner Records / Code Records

13/01/2023



Un océan de douleurs. Je n'avais pas trouvé mon compte dans ce qu'avait réalisé Death Engine après "Amen" - EP qui montrait un groupe aussi abrasif que désespéré, plein de promesses pour la suite. Une suite qui, justement, manquait pour moi de ces riffs joués au rasoir, cette saveur urbaine et impitoyable, à la lisière de l'indus. Me détournant de la formation pour aller voir du côté de Carne par exemple (autre groupe de noise metal avec une touche française), j'avais suivi son actualité de loin en loin, écoutant chaque nouvelle œuvre avec un goût de "pas assez" en fin de bouche.

Mais ça, c'est comme pour les yaourts : c'était avant. Death Engine s'est refondé avec "Ocean", sa tête pensante Mikaël Le Diraison s'entourant de nouveaux membres pour améliorer une formule que l'on sentait naître sur "Place Noire". La surprise est double, d'abord celle de voir les Français plonger dans un post metal aussi mélodique que rageur et surtout celle d'entendre une appropriation aussi fraiche, aussi personnelle, déjouant le jeu des filiations, commun dans ce genre enclin à l'héritage assumé jusqu'au cliché.

Exit donc les références appuyées à Breach, Cult of Luna ou "Oceanic" d'Isis. L'océan est ici plus rêvé que vécu, comme une fuite qu'on appelle de ses vœux. Une tristesse à vivre encerclé de béton transpire de cet album, le post metal de Death Engine peignant un décor bleu-gris sans oublier l'humain prisonnier sur scène. Le secret d'éviter ainsi les écueils ? Non pas la recherche de l'originalité à tout prix mais celle de faire de l'émotion son centre, de créer pour dire, une chose qu'on a tendance à oublier dans cette musique d'architecte trop souvent porté sur la matière et son agencement au-delà du reste - l'essentiel. Cris et chants redeviennent alors ceux d'êtres en déroute, des moyens d'expression de sa hargne, sa déception et, en creux, de son appel à l'aide au même titre que des guitares qui appuient ou répondent avec totalitarisme aux sentiments (sacré "Hyperion" crissant et grignotant toute joie).

Il y a également ces passages entêtants, d'une beauté qui n'élève pas mais fait un peu plus plier le genou et dont je préfère garder la surprise à ceux qui ne les ont pas encore rencontrés. Sublimant son style, gardant pour lui une certaine humilité dans l'exercice qui avait fait une partie du charme de ses débuts, Death Engine me convainc de nouveau, contre toute attente. Comme un retour à mes premiers amours, ceux d'un post metal qui était alors la bande originale d'une vie au sein d'un bitume présent jusque dans ma tête. Death Engine me laisse ici croire que rien n'a changé en moi de ce côté-là. En fait, c'est même pire aujourd'hui qu'hier.


Cripure


Lien bandcamp : https://deathenginesound.bandcamp.com/album/ocean

dimanche 2 avril 2023

Fluisteraars - De Kronieken van het Verdwenen Kasteel - I – Harslo

 Eisenwald Records

10/03/2023



Fluisteraars ! Ce groupe ne cessera d’étonner au fil des années et au fil des sorties, se classant parmi les plus intéressants de la scène actuelle – de mon humble point de vue. Après la parution à un an d’intervalle de ses deux derniers albums, la tuerie Bloem (en 2020) et Gegrepen door de geest der zielsontluiking (en 2021), le duo fait son retour avec un EP. Et, il n’est point de sot format pour les Néerlandais ! Souvenez-vous de l’excellent Gelderland, paru en 2016, ou encore du split avec Turia De Oord (2018). Chacune de leurs réalisations est parfaitement soignée, ayant une place de choix au sein de leur riche discographie.

De Kronieken van het Verdwenen Kasteel - I – Harslo ne déroge pas à la règle. Premier chapitre d’un recueil construit en trois parties, Fluisteraas vous conte une histoire d’un autre temps. L’artwork troublant laisse un large choix d’interprétation, d’un château noyé dans le brouillard, d’un mirage coincé entre deux mondes mais aussi d’une interprétation brumeuse de L’Île des morts de Böcklin. Le logo du groupe est une nouvelle fois stylisé, revêtant un aspect antique et sylvestre surmonté d’un vieux castel. La musique est d’ailleurs à l’image de la pochette et de la thématique abordée. Le son frappe par son âpreté, ce grain très cru qui renvoie à la demo cassette 't Hondslog. Cependant tout est poussé à l’extrême ici. L’EP semble avoir été enregistré dans les souterrains d’Harslo. La voix pleine de réverbérations et plaintive de Bob Mollema, en spectre d’un roi oublié, s’échappe avec difficulté. Elle paraît sortir tout droit du passé ou encore d’une autre dimension pour continuer de vous hanter. Quelque soit le tempo – des riffs très nerveux de « Dromen van de zon » à ceux obsédants de « De koning die werd ontdekt tijdens de blootlegging van de nieuwe dimensie » – le grésillement des guitares se dressent tels des fortifications.

L’odeur de poussière est prégnante sur ces deux titres avec ses accents médiévistes et païens (cf. l’introduction du premier morceau). Les atmosphères dépeintes aux claviers – au cachet très 90’s – renforcent ce sentiment, ajoutant par la même un côté épique aux compositions. Les ruines du château prennent forme sous vos yeux tout comme la scène de la chute du maître des lieux. Vous dressez l’épée bien haut sur les mélodies accrocheuses dont le groupe à la secret. L’énergie sauvage et brute vous frappe sur « Dromen van de zon » ainsi que les premières minutes du second titre. Le souffle ne retombe pas grâce aux cassures et aux petites accélérations qui surviennent sans crier gare. Fluisteraars maintient son emprise et ouvre la porte vers un autre monde en seconde partie du EP. Le glissement s’effectue doucement par des sonorités plus éthérées traçant une voie vers les étoiles. La deuxième partie de « De koning die werd ontdekt tijdens de blootlegging van de nieuwe dimensie » laisse une plus grande place aux synthétiseurs tandis que les vocaux se font plus graves, comme de lointains échos avant de disparaître dans l’infini. Le duo ralentit le rythme, instaurant une ambiance à la fois cosmique et cotonneuse (que vous retrouvez, notamment, chez Nocternity sur Harpes of the Ancient Temples) en guise de clôture de ce premier chapitre.

Après le court format Gelderland, Fluisteraars rend une nouvelle fois un vibrant hommage à sa contrée d’origine à travers le lancement de ses chroniques. De Kronieken van het Verdwenen Kasteel - I – Harslo risque toutefois d’en décontenancer – voir décevoir – plus d’un.e à cause du son très raw et de son apparente « simplicité ». Cependant une écoute approfondie permet d’en saisir toute les subtilités et d’apprécier l’univers développé par les Néerlandais. L’artwork réalisé par Bob Mollema pour encadrer les lyrics inscrits à l’intérieur de la pochette est, au passage, une belle réussite. Certes, deux titres c’est un peu court – et l’éternel débat du prix des courts formats va ressurgir – mais le reste est à venir. J’ai déjà hâte d’entendre une nouvelle histoire de châteaux disparus.

Längäste

Lien Bandcamp : https://fluisteraars.bandcamp.com/album/de-kronieken-van-het-verdwenen-kasteel-i-harslo

Anohni and the Johnsons - My Back Was a Bridge for You to Cross

Rough Trade/Secretly Canadian 07/07/2023 Anohni avait déjà brisé sa coquille sur Hoplesseness paru 7 ans plus tôt. Sans les Johnsons mais ...