dimanche 12 mars 2023

Le Chat Noir - Hideshi Hino

 IMHO

17/02/2023


Une belle gueule ce chat noir, avec ces grands yeux et son air blasé. Blasé ou plutôt flegmatique. Car il en a déjà vu, des vertes et des pas mûres. Un chat errant apprend vite la débrouille, se construit seul et se forge une carapace de poils. Il se livre sans fard et vous le suivez dans ses déambulations et ses rencontres improbables.

Sa naissance et sa couleur en ont fait d’emblée une sorte de paria. Se dessine dès les premières pages le caractère superstitieux des êtres humains, une faiblesse parmi tant d’autres. Si le titre de ce manga ainsi que la mention « fantastique » renvoie automatiquement, voire inconsciemment, vers Edgar Allan Poe, l’influence se trouve davantage du côté du Japon et du roman de Natsume Soseki, « Je suis Un Chat ». Car Hideshi Hino – contemporain de Kazuo Umezu (maître du manga d’horreur) – peint une société japonaise au vitriol. La noirceur est prépondérante, tout comme le héros félin ou encore dans le dessin et ses traits épais. D’un employé d’un cirque se surpassant afin de ne pas être licencié jusqu’au huis clos étouffant de la nouvelle « Pépé et mémé », vos yeux s’écarquillent et une grimace se fige sur votre visage. 

L’humanité se dégageant de certains personnages dans la première moitié du manga (« Le ventriloque » et « Un étrange mangaka »), s’estompe rapidement au fil des pages. Le chat noir observe, apprend à se familiariser avec ces curieux et fascinants animaux que nous sommes. 

« Et c’est ainsi que ce temps passé à observer les humains m’a amené à la conclusion qu’il n’existait pas de créatures plus énigmatiques et étranges. »

Pourtant, il n’y a rien à sauver. Hommes, femmes, enfants, personnes âgées, tous et toutes semblent avilis, perdus. Les émotions les plus basses font surface pour au fur et à mesure faire disparaître tout le reste – ce qui est bon. L’obsession, le harcèlement, la violence, le sadisme, la solitude, la marginalité, le désir de possession et de contrôle (les relations hommes/femmes sont très parlantes) et la folie bien entendu ! Elle se dresse comme toile de fond aux intrigues, revêtant différentes formes. Une folie qui prend une vilaine tournure, dramatique même, laissant s’infiltrer une touche fantastique pour vous clouer au pilori. Acerbe, cynique, nihiliste, Hideshi Hino coche beaucoup de cases et il faudra avoir le cœur suffisamment ficelé afin d’encaisser ce flot de noirceur.

Nul échappatoire ici, les animaux pâtissent eux-mêmes des travers des êtres humains (« Le garçon et le chient noir »). Ils sont poussés à leur paroxysme par l’auteur. L’absurdité des situations frappent et questionnent. Le dessin ne fait qu’accentuer ce sentiment avec des personnages  volontairement caricaturés à l’extrême, souvent grossiers. Le Chat Noir aime appuyer où ça fait mal, mettre à nu et à vif nos défauts ainsi que nos paradoxes. Une peinture sombre, grinçante décrite par le félin des rues – observateur malgré lui –, où le fantastique offre une seconde lecture et davantage de profondeur. Publié au Japon en 1979 sous le titre «  Kuroneko no Me ga Yami ni », ce one-shot déconcerte assurément. Qualité, défaut,…vous aimez ou vous détestez. Il n’empêche que sous son apparente simplicité – son côté « poussif » –, la complexité de notre espèce et de nos relations est parfaitement retranscrite, toujours d’actualité dans ce qu’elle a de plus sombre. 

Mettre un pied dans l’univers d’Hideshi Hino c’est perdre son innocence, laisser loin derrière tout espoir en l’humanité. Une immersion douloureuse et tardive due à l’excellente maison d’éditions IMHO (cf. Nekojiru Udon de Nekojiru, Mind Game de Robin Nishi ou encore La Jeune Fille aux camélias de Suehiro Maruo) qui a édité, en français, L’Enfant Insecte (2012), Panorama de L’Enfer (2012) mais aussi Serpent Rouge (2012). En cette année 2023, marquant les 30 ans d’IMHO, place donc à une nouvelle fournée avec Le Chat Noir, Le Cadavre Vivant et Oninbô. À table !

Längäste

2 commentaires:

  1. Je note, ça donne envie ! Clairement, IMHO est à suivre.

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  2. Ils sortent plein d'auteurs un peu UG, des oeuvres décalées. Je les apprécie beaucoup avec Lézard Noir

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