dimanche 19 mars 2023

Urfaust - Hoof Tar

Ván Records

20/10/2022




Urfaust est redescendu sur terre. Et après avoir frôlé les infinités sombres du cosmos, il a décidé de reprendre ses vieux oripeaux, notamment ceux du clochard alcoolique mais devenu mystique, là où il était plus prompt à commettre quelques larcins. Ou presque. Comme pour mieux insister sur une forme de cycle qui reprend forme après avoir touché les cieux et s’être irradié. Il est retourné sur ses vieux plans quasi ambiant avec Teufelgeist, faisant un peu renaître cet ermite aux guenilles ou ce mauvais gueux également bandit des grands chemins qui avaient disparu de notre champs de vision depuis une dizaine d’années. Il s’est pourtant nourri de toutes ses pérégrinations, loin dans le firmament, mais n’en est pas moins revenu apaisé. Il en a ainsi retenu une utilisation des claviers, plus amples et plus solennels. 


Mais c’est bien le Urfaust aux accents médiévaux dont il est question ici, retournant vers une forme de piété et de dévotion que le duo du Brabant avait à ses débuts, avec pour firmament Der freiwillige Bettler, mais gorgé de ce mysticisme de la précédente décennie, dans une version plus terne, éclairée d’un simple cierge. L’on a ainsi une mise en avant d’un orgue sur ces deux parties de ce single, qui, s’il dure un peu plus de dix huit minutes, est considéré comme tel, - les remixes présents sur la version cd accompagnant le vinyle dans son très bel écrin font monter l’ensemble à une demi-heure de musique. Cet orgue mène la danse en compagnie de quelques power chords simplistes sur ce Hoof Tar, donnant bien le ton de cette procession mortuaire à laquelle nous sommes conviés. L’on retrouve ainsi un Urfaust toujours aussi répétitif dans ses motifs et qui ne laisse aucun signe d’évolution de son propos, si ce n’est une très légère et furtive accélération dans sa seconde partie. L’on préfère mettre en exergue ici son côté lancinant. C’est sans nul doute là que les Néerlandais sont les meilleurs: dans cette faculté à vous happer, pour ne pas dire vous hanter, avec une musique simple basée sur quelques accords et répétés ad nauseam. Quelque chose que l’on pourrait rapprocher des formations de doom metal les plus austères, aussi bien dans ces tempi bien lents que dans cette faculté à racler inlassablement le même sillon, sans dévier de sa trajectoire. 


Génuflexions et apitoiement sont les maîtres mots de cette réalisation, et l’on retrouve ce côté lamentant qui avait fait le charme de la formation, mais en le chargeant de ce mysticisme d’un The Constellatory Practice. Comme quoi, si la boucle semble reprendre son cours, elle est toutefois nourrie des divers sentiers parcourus par le groupe. En cela, la prestation de IX au chant est toujours aussi poignante, avec ces incantation lancinantes qui viennent vous rappeler votre condition d’humains. C’est clairement ce qui fait - et fera toujours - la différence chez Urfaust. C’est ce chant toujours sur la brèche mais qui percera même les cœurs les plus endurcis et qui dépeint à la fois cette douleur et cette tristesse, avec ce souffle pestilentiel qui vient s’ajouter à ces émanations d’encens mélangées aux vapeurs d’alcool. Les ténèbres sont ainsi de retour chez Urfaust, avec ce sentiment d’inexorabilité et de fatalité. Ce sont les complaintes d’un homme qui sait qu’il n’y a aucune autre vérité que la mort. C’est Caïn Marchenoir qui ne parvient pas à retrouver la foi lors de sa retraite au couvent des Chartreux et qui y abandonne toute rage et toute colère. En cela, je ne peux m’empêcher de faire un léger parallèle avec Einsiedler, même si la folie qui habitait l’ermite n’est plus de mise et a laissé clairement la place au renoncement, comme si l’on était passé de l’autre côté du miroir avec le temps. 


C’est même un renoncement tout aussi cryptique que mortuaire qui nous est donné ici. Et c’est cela qui va faire tout le sel de cette réalisation, toute aussi hypnotique que touchante dans ce côté ritualiste et répétitif. Même si cela n’éclate pas forcément aux premières écoutes, il y a pourtant plein de motifs pour se laisser pénétrer par ces odes qui semblent venues d’un âge obscur et qui s’expriment d’une manière particulière et obsédante. Car cela restera une constante chez Urfaust, c’est de mettre en musique des sentiments tellement humains, en leur donnant ce prisme ambivalent entre laideur et beauté. Car il y foncièrement quelque chose de beau qui émane de cette musique, même si elle semble annonciatrice d’un nouvel âge obscur, un âge où toute propension à la joie et à la félicité aura disparu sous une chape de plomb et de crasse, à errer sans cesse en courbant l’échine devant tant d’acharnement sur nos vies redevenues misérables. 


A.Cieri

1 commentaire:

  1. J'avoue que lors de sa sortie, ça ne m'avait pas trop toucher mais ta chronique donne envie de lui laisser une seconde chance.

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