mercredi 13 décembre 2023

Θλίψις (Thlipsis) - Dawn of Defiance

Floga Records


15/09/2023 




Il y a sans doute peu de chances que vous ayez entendu parlé de Θλίψις et de son premier album le présent Dawn of Defiance dans des pages francophones, ou autres chaines de réseaux sociaux ou vidéos, expertes ou non en black metal. Il suffit d’utiliser n’importe quel moteur de recherche pour avoir petite une idée là-dessus. La faute sans doute à un très grand nombre de sorties chaque semaine dans le registre du black metal, bien que ce premier album est paru chez Floga Records, dont le roster commence à s’étoffer en terme de black metal, avec des noms tels que Katavasia ou Synteleia, pour ne reprendre le noms de quelques uns des compatriotes du groupe. Les membres de Θλίψις n’ont malheureusement pas de problèmes de tendinites au niveau du bras droit, ne passent pas leur temps à déverser des discours de haines envers les autres peuples, et s’ils se tournent vers l’histoire, ce n’est pas non plus pour mettre à l’honneur un passé imaginaire pour épancher leur masculinité toxique ou une quelconque supériorité. Autant d’éléments qui ne vont pas en la faveur de ce groupe pour une bonne part d’amateurs de black metal, plus prompts à s’offrir un petit frisson transgressif en écoutant et en finançant surtout des groupuscules et des entités fascistes. Grand mal leur en fasse, car l’on a ici l’un des plus bel album de black metal de cette année deux mille vingt trois, rien de moins.


Chez Θλίψις, il n’y a donc rien de tout cela, et si l’on déverse sa haine c’est envers les oppresseurs de toute sorte, et l’on se veut la voix des opprimés, des reclus de la société, de ceux qui sont laissés de côté dans un système qui appauvrit les gens, qui les laisse sur le bord de la route et qui les transforme en esclaves modernes. Cela surprend de la part d’un groupe grec qui ne prend pas le chemin de tant d’autres de ses compatriotes, et cela n’en est que plus rafraichissant. Pour autant, les discours sont souvent beaux, mais c’est mieux lorsqu’ils sont suivis d’effets. Acta Non Verba, comme nous le rappelle le troisième titre de cet album. Dès l’ouverture de A War Handbook, l’on est clairement dans le vif du sujet et l’on sait que l’on n’a pas été lésé par les effets d’annonce. L’on avait découvert cette formation avec son premier EP paru il y a deux ans déjà et qui laissait entrevoir un très beau potentiel. Ce qui va surprendre chez Θλίψις, c’est qu’en dépit de leurs origines géographiques, l’on ne retrouve pas cette essence grecque dans leur black metal, mise à part une certaine aisance dans le travail mélodique. Pour autant, l’on notera les réinterprétations du titre Μπήκαν στην πόλη οι οχτροί de Nikos Xylouris sur Enemy At the Gates, aux paroles tellement actuelles, et du titre révolutionnaire et antifasciste Παιδιά σηκωθείτε sur Rise Up. Deux beaux emprunts à une certaine tradition révolutionnaire de leur beau pays, et prennent une belle tournure dans ces nouveaux apparats black metal, et qui ne dénotent aucunement par rapport aux compositions originales. Pour autant, les Grecs nous renvoient plutôt à la scène norvégienne des années mille neuf cent quatre vingt dix et l’on pense assez fréquemment à Taake et à Gorgoroth. Il y a cette même alliance entre crasse, fureur, incandescence et chaos ici que chez ces deux références. Tout va très vite, l’album durant à peine trente quatre minutes, mais il s’y passe beaucoup de choses. Il y a avant toute chose cet aspect chaotique, dans ce côté incandescent qui pétarade à tout va et qui virevolte entre instantanés plus posés et assauts vivaces. 


La linéarité n’est donc pas de mise ici, même quand le groupe prend son temps pour dévoiler ses atouts, notamment sur The Night That Wolves Were Silent, pièce la plus longue de l’album. Il y a une intensité qui est de mise sur chaque titre et une faculté à faire monter la tension au sein de chaque composition, aucunement basiques. L’on notera, si l’on devait faire une comparaison avec leur premier effort, c’est que les transitions sont bien mieux abordées, sans faire disparaître ce côté vindicatif. Il faut dire que le mélange des chants partagés par Tumultus et Felix Argus, entre l’un plus arraché et l’autre bien plus écorché et plaintif, renforce cet aspect à la fois colérique et turbulent. Pour autant, derrière cette apparente instabilité, il y a tout de même un très beau travail mélodique opéré par les deux guitaristes. Les mélodies sont omniprésentes et belles, mais sans sombrer dans la facilité. Elles sont belles, effectivement, dans leur côté à la fois tragiques, nostalgiques et glacées. Il y a une forme de froideur qui s’extirpe de tout cela, quelque chose qui donne vie à ces chants de colères et de désespoirs. Car c’est bien ce côté rageur et vif qui prend réellement aux tripes et qui est l’un des atouts majeurs de cet album, distillé sur chaque titre avec la même verve et la même férocité. L’on ressent bien le message véhiculé par les paroles dans ces mélodies fières qui ressortent de ces coups de semonces. Une forme de sauvagerie ressort à l’écoute de cet album, comme des ressentiments et des cris de tourments qui ont trop longtemps étés opprimés et qui se déversent en flots continus sur cet album. C’est définitivement ce que l’on ressent sur ces sept titres, comme une énorme explosion de rage et de douleur. C’est fait avec une certaine impétuosité et en même temps avec une réelle sincérité, l’on sent que s’il y a du travail derrière cela, il y a tout de même un caractère bien déchaîné et résolu.


Ce Dawn of Defiance confirme bien au-delà de ce que je pouvais attendre des Hellènes, qui auront pris leur temps pour composer cet album et faire murir leur propos. Θλίψις a accomplit ici un très bel album de black metal, dans ce qu’il a de plus noble dans son essence. L’on ressent bien ici tout ce qui peut fasciner dans ce genre musical, notamment dans cette alliance entre le côté froid et impétueux, sauvage par nature, et ce mélodisme froid et tenace qui prend aux tripes, et qui exprime tellement bien tous ces sentiments et ces tragédies passées et actuelles décrites par ces musiciens. L’on voit clairement toutes ces images défiler à l’écoute de cet album, certes court, mais dont l’intensité se suffit à elle même et ne comprenant aucun temps mort. C’est effectivement une réussite et une très belle surprise à tous les niveaux, et l’on ne peut que féliciter les membres de Θλίψις pour cela. Rage, colère, désespoir sont pertinemment au rendez-vous de ce premier album, au propos musical on ne peut plus pertinent et efficient, qui vient également nous rappeler que le black metal peut aussi être le vecteur de messages intelligents et se faire la voix de ce qui ne sont rien ou de ceux qui vivent l’enfer au quotidien. 


A.Cieri


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