lundi 19 juin 2023

My Dying Bride - 34,788%... Complete

 Peaceville Records

06/10/1998



Le Romantisme est mort. 


Enfin, il est considéré comme tel, momentanément, enfoui sous des couches de larmes, de psaumes, de baisers interrompus et de souffrances ostentatoires. Et il a laissé derrière lui les anges, les rivières, les papillons, les dieux, le soleil ou bien encore les cygnes. Adieu d’amour comme Aaron éructait autrefois. Les larmes se sont asséchées en même temps que l’on a décidé de fuir la beauté, le passéisme et le misérabilisme. Même si les oripeaux ne sont pas encore totalement enfouis et que l’on peut les récupérer à tout moment, pour se rassurer, pour se remémorer de belles choses, ou bien encore pour se rappeler ses anciennes lamentations, lorsque l’on était penché là-haut, au sommet de cette colline imaginaire, sur les cimes du désespoir. Où l’on implorait les dieux pour raviver le souvenir de quelque chose de fugace, pétri de douleur. 


Tout ceci n’aura duré qu’un moment, le temps de la décomposition est désormais venu. Mais elle ne sera pas seule, elle sera accompagnée de ce ressentiment, de cette forme de nihilisme qui nous pousse à s’ébaudir dans la fange, à s’enfoncer dans ce que la cité a de plus blafard et de plus dégoûtant, juste pour voir si l’on est encore vivant et que l’on a bien survécu à cette épreuve, mais avec cette âpreté au fond de la gorge et cette envie de tout rejeter, jusqu’à ses propres idéaux. Les bas-fonds sont devenus tout autant de sentiers où l’on aime se perdre, y demeurer tant que l’on n’aura pas effacer cette boule au ventre et noyer cette douleur dans la colère et la rancoeur. Où l’on est aveuglé parfois par ces néons multicolores qui vous explosent la rétine, derrière ces vitrines hideuses qui renvoient l’image d’un homme amaigri, aux cernes saillantes et complètement hagard devant tant de crasse, tant de façades blafardes, tant d’inconnus qui font tout pour s’éviter. C’est comme si une certaine forme d’humanité avait disparu, que l’on était mort de l’intérieur et que l’on se faisait le témoin avide de sens de tout ce qu’il voyait, mais incapable de réagir et d’exprimer ce qu’il ressent. 


Il y a quelque chose d’irréel à observer tout ceci, flottant entre le réel et l’imaginaire, mais un imaginaire forcément gris et menaçant. C’est un monde d’antinomies, entre légèreté et pesanteur, entre angoisses et rêves, entre désirs et refus, entre vie et mort. Il y a aussi quelque chose de bien ironique dans tout ceci. Comme si l’on nous vendait une sorte de rêve par procuration, comme une autre façon d’échapper au monde réel. Mais de l’autre côté du miroir, tout ou presque s’apparente à l’ancien monde, tant ce dernier s’en retrouve sali, perverti et chancelant. Lorsque l’on pense se raccrocher à un souvenir ou à un idéal d’antan, l’on se retrouve la seconde suivante le nez à terre à s’apitoyer sur son sort, à ne plus avoir la force de se relever, car toute tentative est vouée à l’échec. Cet outre monde est laid. Fondamentalement. Mais l’on se plait à le parcourir, à y découvrir ses différentes odeurs, ses différentes saveurs, à humer tout ceci, à s’enivrer pour mieux oublier. C’est un monde hybride fait de bric et de broc qui laisse sa douce folie se décliner au fur et à mesure de ce périple dont on ne sort pas indemne. Un périple qui ressemble surtout à un kaléidoscope de sensations, de vertiges et de dégoûts, mais aussi de ces moments de renoncements les plus noirs dont seul un cerveau malade et meurtri peut fomenter dans son coin. 


Une odyssée dans ce que l’humain peut avoir de plus dérangé, avec tous ces tableaux défilant comme autant d’invitations à l’hédonisme et aux plaisirs de la chair. Car rien de mieux que d'abandonner ses valeurs et sa vertu qu’en consommant les corps les uns après les autres après avoir tant pleuré son amour véritable, parti définitivement. Et de faire ceci avec le plus grand des cynismes, comme pour mieux s’acclimater à l’ère du temps et de profiter de tout ce à quoi l’on avait renoncé par idéal. Le spleen est lui aussi bien loin: tout n’est plus que vice et orgueil, et une invitation à profiter uniquement des plaisirs charnels, et encore plus lorsque l’ancienne morale les proscrivent, comme une sorte de défi à la vie ou à la mort. L’atmosphère se fait de plus en plus moite à tel point que l’on s’oublie complètement au fur et à mesure que les heures et les jours s’égrènent, l’on finit par ne plus savoir tant la fatigue ou ce sentiment de vivre un cauchemar éveillé nous font chavirer l’esprit. Le temps qui passe ne semble plus avoir de prise sur soi, l’on a beau chercher une issue à tout ceci, de revenir à la réalité, mais en vain, tant l’on préfère sciemment rester ici plutôt qu’ailleurs. Cet ailleurs qui nous rappellera avec son dernier rai avant la fin du monde. Mais plus rien ne sera pareil après une telle descente. 



A.Cieri

https://peaceville.bandcamp.com/album/34788-complete

1 commentaire:

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