dimanche 25 juin 2023

Amorphis - Elegy

Relapse Records / Nuclear Blast 

14/05/1996




Elegy, c’est typiquement le genre d’album que le milieu des années mille neuf cent quatre vingt dix avait à nous offrir, une époque où bon nombres de formations hésitaient nullement à aller de l’avant, à faire évoluer leurs styles, au risque de perdre de nombreux fans en cours de route. C’est d’ailleurs quelque chose qui ne faisait aucunement peur aux membres d’Amorphis, si l’on s’en tient aux deux premiers albums et de ce qu’il adviendra par la suite. Les exemple sont nombreux, aussi bien dans leur Finlande natale - l’on pense notamment à Sentenced -, qu’un peu partout en Europe, et l’on n’avait aucunement crainte de se remettre en question, de laisser infuser de nouvelles influences dans sa musique, quitte à chambouler un peu les habitudes de travail. À ce propos, le quintet est ainsi devenu un sextet avec trois nouveaux membres arrivés avant l’enregistrement de cet album dont le claviste Kim Rantala, le batteur Pekka Kasari, et, surtout, l’arrivée au chant clair de Pasi Koskinen, les growls étant toujours tenus par Tomi Koivusaari. Est-ce que cela allait bouleverser la créativité d’une formation qui avait proposé le fabuleux Tales From the Thousand Lakes deux années auparavant?


La réponse est évidemment par la négative, car Amorphis répond une nouvelle fois à ses critères de qualité, de créativité et d’inspiration en faisant évoluer son death metal mélodique aux relents doomy, pour quelque chose d’assez personnel. Si l’on devait faire une petite comparaison avec une grande institution de la même période, l’on pourrait faire un très léger parallèle avec l’évolution affichée par un Paradise Lost entre Shades of God et Icon, où un côté plus heavy metal et direct fut mis en avant sur le second cité, sans doute est-ce la raison pour laquelle les Finlandais ont fait appel au producteur Pete Coleman. Mais la comparaison s’arrêtera là, tant la musique du sextet est réellement unique et personnelle, touchant à des horizons assez différents et, pour ainsi dire, plus chaleureux. L’on retrouve quelques traces de ce death metal mélodique, par le biais de quelques riffs et par les growls toujours aussi caverneux d’un Tomi Koivusaari, l’école finlandaise dans toute sa splendeur. Mais ce qui va surprendre, ce sont ces différentes colorations que va prendre le groupe, allant tout autant piocher dans le heavy metal traditionnel, et à ce titres les leads et harmonisations sont pléthoriques, avec des passages aussi mémorables que sur la seconde partie de On Rich and Poor ou l’introduction de Against Widows, mais aussi dans la musique folklorique. Cela se ressent aussi bien dans les phrasés de guitares, où l’on retrouve cette touche, tantôt nordique, tantôt orientale, comme sur Better Unborn, en explorant plus loin ce côté, comparativement à ce qui était proposé sur Tales From the Thousand Lakes. Évidemment qu’un titre comme My Kantele va, sans nul doute, être la pièce d’orfèvre qui va confirmer tous ces différents aspects. L’on doit ajouter à cela une touche seventies qui se retrouve pas mal dans les claviers, où l’on a souvent un orgue hammond qui vient accompagner les deux guitares, ou des sonorités qui nous renvoient aux synthétiseurs utilisés durant les années soixante dix par pas mal de groupes de rock progressif. Un clavier qui prend de temps à autres les devants, mais qui est toujours bien utilisé.


Tout ceci vous semble aussi bien un peu trop hétéroclite voire même trop touffu pour que cela ne vous file pas la nausée? Surtout que les finlandais n’hésitent pas à toucher à d’autres styles, certes de manière éparse et fugace, comme sur Cares, histoire de ne pas simplifier la donne. Et pourtant, comme par magie, tout cela tient très bien la route, voire merveilleusement. Parce qu’en premier lieu, Amorphis démontre aussi bien une inspiration qui ne se tarit pas au fil des écoutes, et une capacité de passer du coq à l’âne au sein de chaque titre, qui frôle même l’insolence, tant cela est fait avec aisance et classe, l’une des qualités premières d’Amorphis à cette période. Je ne parle pas seulement de ces instants quasiment death metal mélodique qui alternent avec ceux plus doucereux ou planants, même si c’est fait avec une grande fluidité qui force le respect. Une dualité qui va également se retrouver dans l’opposition entre les growls de Koivusaari et le chant clair de Koskinen, pas encore maître en ces lieux, mais qui apportent une plus grande variété au sein de chaque titre. Il faut aussi évoquer ce côté un peu kaléidoscope de ces onze titres qui s’enchainent à merveille et qui montrent une certaine étendue des possibilités du groupe à cette époque, mais aussi de cette envie de ne pas trop se mettre de limites. Pour autant, ce qui va rester la ligne directrice de cet album, en plus d’une grande inventivité, c’est ce sens mélodique assez inouï qui traverse chaque titre. Cette assise mélodique, que l’on connaissait déjà sur leur précédente oeuvre, éclabousse chaque instant de chaque titre, aussi bien dans les mélodies de guitares, que celles développées par les claviers. L’on n’a point ici de la mélodie aguicheuse, comme ce sera le cas dans les réalisations les plus récentes, mais bien quelque chose qui fait sens et qui, surtout, vous happe dès les premiers instants de cet album. C’est même cela toute la beauté de cet album, cet enchaînement de titres qui ne perdent aucunement de leurs puissances évocatrices au fil des écoutes, ces mélopées qui s’enlacent les unes aux autres et qui n’ont pas leur pareil pour vous faire voyager vers d’autres contrées ou d’autres temporalités, et en cela les emprunts au Kanteletar pour les paroles y est aussi pour quelque chose, car si l’on est bien dans une jus purement nineties, il y a un côté presque intemporel dans ces titres. Quelque chose dont on n’arrive guère à situer, tant le pont entre différents âges est, là aussi, très bien maîtrisé, à l’instar d’un titre comme The Orphan, avec son introduction quasiment floydienne et son développement plus étoffé, avec cette belle montée en puissance.


Elegy, c’est également un assortiment de saveurs bien agencées, mais aussi un étalage de diverses émotions, tant l’on passe aussi bien entre des moments plus intimistes, d’autres plus nostalgiques, avec une petite trame mélancolique digne d’une fin d’été, avec également des instantanés plus puissants et rageurs, et d’autres bien plus rayonnants. En soi, l’on a ici quelque chose qui confine à l’admiration par tant de classe, par tant de génie, par tant d’idées bienvenues et de mélodies enchanteresses, mais aussi par le fait de proposer quelque chose d’assez apaisant, d’une certaine manière. Non pas que cet album soit d’une simplicité affligeante, il regorge cependant d’une certaine immédiateté dans son assimilation, en se dévoilant tout de même au fil des écoutes, et en touchant juste à chaque fois. C’est aussi un parfait exemple où les aspects techniques et créatifs sont réellement utilisés au bénéfice de chaque composition, où tout y est certes réfléchi et bien agencé, mais avec une certaine spontanéité et une grande ingéniosité. Elegy, c’est tout simplement une démonstration de classe, avec des titres vraiment excellents qui s’enchainent comme par magie, comme autant de paysages enchanteurs pourraient défiler devant vos yeux et que vous vous arrêtiez pendant un long moment pour les apprécier pleinement, pour les graver dans votre mémoire définitivement, vous faisant rêver à chaque rotation, comme si le temps et le monde extérieur n’avaient plus aucune importance. Un bonheur simple et vrai, sans facticité, sans cynisme: voilà bien quelque chose que l’on peut souhaiter en ces temps obscurs. 


A.Cieri


https://relapsealumni.bandcamp.com/album/elegy-reissue

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