lundi 26 juin 2023

Spectral Lore - 11 Days

Autoproduction

21/03/2023




Onze jours, c’est peu ou prou la durée que peut prendre la traversée de la Méditerranée pour un migrant en partance d’Afrique du Nord et en direction des côtes grecques, dans un passage qui a été toujours considéré comme dangereux, depuis l’Antiquité. C’est à cela que se réfère cet EP, même si sa durée est de quarante quatre minutes, et, surtout, à toutes ces tragédies qui perdurent depuis des années, avec ces morts anonymes qui perdent la vie aussi bien dans les naufrages, que parce qu’ils ont été repoussés par les autorités européennes. Le récent incident au large des côtes de Pylos, ayant fait plus de cinq cent morts, auquel Ayloss a décidé de dédier cette réalisation, en est un très bel exemple, et s’ajoute à ce décompte morbide de personnes qui fuient leurs pays en espérant trouver un refuge en Europe, dans l’indifférence générale, puisque ces personnes n’avaient pas le bon goût de visiter une épave enfouie sous les flots. 


L’on aurait pu avoir peur que les effets d’annonces ne soient pas suivis d’effets dans le propos musical de l’Hellène, mais c’est bien méconnaître la faculté à se remettre en question de la part d’Ayloss, - aidé ici, il est vrai, pas quelques collègues -, qui, s’il multiplie récemment les projets - Auriferous Flame, Clarent Blade, Fortress of the Pearl, Mystras, entre autres - n'en reste pas moins attaché à son projet principal qu’est Spectral Lore. Ce qui prédomine sur ce 11 Days, ce sont à la fois ces sentiments de colère et d’angoisse qui traversent ces quatre titres, même si l’on alterne entre titres denses dans le registre black metal atmosphérique auquel Spectral Lore nous a habitué depuis une quinzaine d’années, pour ce qui est des titres Moloch et Adro Onzi et titres ambiant où les différents synthétiseurs, séquenceurs et samples prennent les devants. Mais ces deux facettes n’en expriment pas moins les mêmes sentiments de rage, de crainte à la fois des éléments et des humains, mais également de déités mythologiques, qu’elles soient moyen-orientales ou africaines. La peur prédomine dans ces instants où l’on se sent ballotés par des flots rageurs et punitifs, prêts à assouvir leurs jugements divins et à condamner des innocents, désormais apatrides et seuls au monde. 


Ce sentiment de faiblesse face aux éléments et aux vicissitudes de l’existence, on le ressent dans ce côté martial et dense des deux titres black metal, et notamment sur Adro Onzi, où l’on sent bien toute la fureur s’abattre sur nous. Rien n’y est d’ailleurs fait pour adoucir le propos et nous caresser dans le sens du poil. L’on y joue ici tout autant sur le côté dominateur de la chose, où la batterie vient marteler sans répits ou presque, et même lorsque les choses semblent se calmer, l’on caresse alors le registre de la dissonance, comme pour mieux nous maltraiter. Comme de coutume avec ce projet d’Ayloss, c’est touffu et même très dense, tant les nappes des divers instruments viennent s’agrémenter les unes aux autres, comme autant de vagues déchaînées lors d’une tempête des mers. Pour autant, si elles ne sont pas évidentes, les mélodies sont toujours présentes, mais l’on est loin d’être dans le beau et l’épique des autres formations black metal d’Ayloss. Il y a ici une tension palpable à chaque instant, même si ces titres s’étirent au-delà des dix minutes, elle ne redescend jamais. Pour autant, l’on est loin du bourrinage inepte, il y a quelque chose d’assez complexe, qui se dévoile petit à petit, pour peu que l’on prenne le temps de s’attarder à ces divers éléments. Dans tous les cas, Ayloss sait nous submerger de notes et de nappes et donner réellement cet aspect de terreur. 


Une inquiétude qui ne s’estompe aucunement sur les titres ambiant, eux aussi assez longs, et qui naviguent entre deux flots, avec d’un côté un effroi inéluctable, et de l’autre quelque chose d’irréel. L’on a l’impression d’y reconnaître le calme entre deux tempêtes, tant le rythme y est plus apaisé, et en écho aux samples de vagues qui semblent redevenues normales. Pour autant, rien ne confère à l’optimisme d’avoir survécu à la fureur de Poseidon, l’espoir s’est évaporé et l’on reste toujours aussi humble face aux éléments de l’océan ou de la mer qui peuvent se déchaîner à tout instant et nous emmener avec eux. Là encore, la superposition de plusieurs éléments sonores nourrit cet affolement et cette instabilité de tous les instants, notamment sur Fortitude/Sunrise. Il est bien difficile de se raccrocher à un quelconque espoir, même dans ces rares moments de grâce et de quiétude qui nous sont offerts, car l’ombre d’une menace sur nos vies demeure toujours à l’esprit et suscite toujours cette appréhension quant à ce que l’avenir peut réserver. La multitude de sons qui jaillissent sur ces deux pistes amènent cette impression d’inconfort et d’irréalité, comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve, et pourtant la réalité n’en est pas moins cauchemardesque.


11 Days nourrit bien sur son entièreté ces sentiments qu’éprouvent sans doute ces personnes qui fuient leurs contrées dans l’espoir de trouver quelque chose de meilleur ailleurs, notamment dans cette peur et cette incertitude de traverser les mers sur des embarcations de fortunes, après avoir subit moult dangers et périples. Spectral Lore et son unique tête pensante sont clairement parvenus à nous faire ressentir cela sur ces quarante quatre minutes qui confirment à la fois la vision et l’excellence d’un musicien qui ne cesse point de nous surprendre au fil des années, par le biais de ses différents projets. C’est une oeuvre à la fois exigeante et intelligente qui nous est offerte ici, et qui mérite une attention pleine, tant par la musique proposée, que par le message véhiculé ici. Elle nous montre, avec ses moyens et ses effets, à quel point ces traversées de la Méditerranée par les migrants sont loin d’être des croisières de luxe où l’on s’amuse, mais bien un périple aux multiples dangers, - une sorte de bande son à ces récits de vie effroyables, si l’on voulait être trivial -, mais c’est aussi une belle façon de montrer notre petitesse d’humain devant l’impétuosité des éléments mais également devant notre propre sauvagerie et inhumanité. L’on notera que tout l’argent récolté des ventes de cet EP sera reversé à des associations et à des organismes venant en aide aux migrants.


A.Cieri


https://spectrallore.bandcamp.com/album/11-days

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