jeudi 7 décembre 2023

Cathedral - Forest of Equilibrium

Earache Records

06/12/1991





Le meilleur album de Doom Metal de tous les temps! 


Je n’aurais sans doute pas de meilleurs mots pour définir ce qu’est Forest of Equilibrium, premier album de Cathedral et paru le six décembre mille neuf cent quatre vingt onze, totalement à contre courant de ce qui était en vogue à l’époque. Il faut dire que Cathedral, déjà à l’époque, était perçu comme une sorte d’anomalie, ayant pour seule carte de visite leur démo In Memorium, un condensé d’une demi-heure, pour quatre titres, à la fois suffocante et intrigante et affichant des caractéristiques bien loin des canons de l’époque, vouant un culte à la célérité et à la brutalité. Sans doute que le monde n’était pas près à accepter ce qu’allait proposer le quintet de Coventry, qui allait frapper très fort dès son premier album, laissant une plaie béante au monde entier et ouvrant la voie à tant de formations. J’ai beau avoir exploré de nombreuses voix, creusé pour dénicher des perles inconnues, mais rien n’y fait! Rien ne ressemble de près ou de loin à cette perle - noire, évidemment - angulaire que constitue cette œuvre unique. Beaucoup ont joué sur l’extrémisme, à qui tantôt sera plus lent que sur cet album, à qui sera tantôt plus lourd, à qui jouera bien plus sur la mélancolie, et à qui jouera pleinement la carte de l’étouffement. Je pourrais citer bien des exemples et, évidemment, des références dans le genre, et des albums clefs dans ma collection et qui me touchent personnellement. Mais, encore une fois, rien de tout cela ne se rapprochera de ce que j’éprouve et ressent en écoutant Forest of Equilibrium. Cela va bien évidemment au-delà de la dévotion que je porte à ce groupe et à cet album.


Si l’on se place d’un strict point de vue historique et stylistique, afin de donner un peu quelques éléments plutôt objectifs sur cet opus, il est bien à la charnière entre, d'un côté, le doom metal traditionnel hérité, au loin d’un Black Sabbath - et l’on notera que ce groupe a été formé par amour inconditionnel aux légendes de Birmingham -, et, plus proche, d’un Saint Vitus, d’un Pentagram, d’un Candlemass ou bien d’un Witchfinder General, et, de l'autre côté, les circonvolutions plus extrêmes du début des années quatre vingt dix, assez proches, par certains aspects, de la scène Doom Death Metal naissante. En cela, le chant très caverneux, pour ne pas le qualifier de brame, de Lee Dorrian, dans un aspect assez éploré et très rugueux, donne ce relief extrême à la chose, en plus de cette lenteur suffocante du propos. Même si l’on peut noter quelques efforts plus mélodiques de sa part, de temps à autres, tout ceci reste dans le registre du chant saturé, mais cadrant parfaitement avec l’ensemble. Cependant, à contrario de ses compatriotes de Paradise Lost ou de My Dying Bride, les éléments purement Death Metal sont totalement absents et encore moins toutes accélérations, même si l’on a parfois des passages mid-tempo bien plombés, mais toujours aussi patauds dans l’exécution, avec, en modèle du genre, le court Soul Sacrifice. L’on n’est pas, à ce moment précis, le groupe le plus lent du monde pour rien, à une époque où la course à la vitesse était un peu la norme et où un transfuge de Napalm Death en la personne de Lee Dorrian lui-même avait choisi une autre forme d’extrémisme musical pour s’exprimer. Dire que c’est album est lourd, pesant, assommant, lent, accablant, morne comme une journée sans soleil, c’est une gageure et même très convenu. Tous ces clichés qui collent encore au Doom Metal, Forest of Equilibrium les possède, tout simplement parce qu’il représente ce qu’est et doit être le Doom Metal dans son essence même: la musique de la lenteur et de la lourdeur. 


Sauf qu’à ceci, vient se rajouter une forme de désespoir avec en point d’orgue cette atmosphère assez unique: noire et irréelle, comme un songe qui débute de manière primesautière, à l’instar de cette flute traversière et des acoustiques qui ouvrent l’album, avant que le premières notes de guitares électriques viennent résonner et changer complètement la donne avec ce son baveux et granitique. Oui, ce côté insouciant prend très rapidement fin, et l’on va subir tous ces riffs marqués par le fer rouge de l’inspiration, simples dans leurs formes, mais tellement efficients dans leurs coups de semonce. C’est comme un venin qui se faufile doucement dans votre organisme pour diffuser son poison, par différentes étapes, avant de passer par cet état terminal où rien ne sera plus comme avant et comme l’exprime parfaitement Reaching Happiness, Touching Pain. Tout ici n’est que pessimisme, mais pas dans quelque chose de dégoulinant, car cela est fait avec poésie et classe, avec quelque chose qui touche au fantasmagorique. Lee Dorrian et consorts font en sorte d’expurger leurs mots par leur musique et leurs paroles et l’on sent toute la sincérité de leur démarche, tant tout cela sonne honnête et passionné, pour ne pas dire illuminé. Point de mélodies tapes à l’œil pour vous faire ressentir tout le poids et tous les maux exprimés ici puisque l’on se rattache plutôt au dogme du monolithisme pour faire passer son message. L’on notera toutefois l’influence évidente d’un Trouble dans cette manière d’appréhender les arrangements à deux guitares et dans ce côté très défaitiste de la musique déployée ici, nous renvoyant aux instants les plus atrabilaires de The Skull, album préféré de Lee Dorrian. Pour autant, chez Cathedral, l’on ne cherche aucunement toute forme de salut et le message pourrait être tout simplement celui-ci: « nous sommes condamnés, tout est foutu et en voici la bande son ». 


Se promener dans la forêt de l’équilibre, c’est accepter de se confronter à ses tourments personnels, à accepter de succomber à une certaine torpeur, à dédaigner toute forme de lumière pour appréhender une forme de lyrisme noir et à accepter le désespoir comme vertu cardinale. C'est aussi choisir de se perdre dans la nuit en suivant des sentiers tortueux, parsemés d'obstacles et d'avoir l'impression d'avancer lentement, sans d'autre buts que de se perdre, enivré par ces mélopées antiques qui savent tout autant toucher par leur travail de sape, que vous faire quitter le monde réel et ses turpitudes. Chaque riff, chaque mélodie, chaque ligne de chant de Lee Dorrian viendront vous rappeler que tout n’est que souffrance sur cette terre et que l’on ne peut aucunement échapper à tout ceci, à moins de passer de l'autre côté de l'équilibre. Le seul titre Ebony Tears pourrait résumer tout ceci, mais ce serait faire injure aux six autres compositions présentes sur cet album. Il y a ici quelque chose d’inquiétant, comme quelque chose que l’on souhaiterait refouler mais qui ne demande qu’à s’exprimer, ou, mieux encore, à se déverser. Comme si des courants noirs trop longtemps contenus ne demandaient qu’à se déverser, impétueux, laissant tout un flot de ressentiments derrière eux, dans ce parcours méandreux. Forest of Equilibrium a justement ce côté fascinant tant il exprime quelque chose de très affligé et pessimiste avec des moyens assez simples. C’est cela qui fait aussi la singularité de Forest of Equilibrium, aussi bien dans la discographie des Anglais, que par rapport aux autres formations de Doom Metal. Il y a bien ici toute l’essence de ce style condensé en un seul album, aussi bien en terme stylistique avec cette lourdeur et cette lenteur inhérentes au genre, mais aussi dans ce côté terminal et condamné. 


Si l’on peine souvent à trouver un album qui résumerait aux néophytes ce qu’est tel ou tel genre musical, et notamment dans le metal avec ces différentes ramifications, c’est pourtant simple avec le Doom Metal: il n’y aura jamais mieux pour définir ce style que Forest of Equilibrium. Mais au-delà du contexte de sa sortie, du lourd héritage qu’il a laissé pour toute une scène, il y a aussi un album fantastique et hypnotique, tellement hors du temps qu’il est tout autant anachronique qu’intemporel. Ce n’est un secret pour personne que Cathedral constitue l’un de mes groupes favoris et cet album reste mon préféré d’une discographie peu avare en grands albums. Mais cette première mouture de Cathedral a une saveur comme nulle autre, une âme forestière, nocturne et tourbeuse qui sait faire mouche avec peu de moyens, enivrante et inaltérable. C’est peu de dire que rien ne fut plus comme avant après un tel album, même pour ses géniteurs qui ont décidé d’évoluer pendant plus de vingt ans vers d’autres horizons avant de tenter de s’en rapprocher avec leur dernier album, The Last Spire. Si ma dévotion pour ce groupe avait commencé avec d’autres albums, c’est bien celui-ci qui a terminé ma totale conversion. Dans les contrées où je réside, le six décembre correspond à la fête de la saint Nicolas, pourtant c’est bien un tout autre culte auquel je rends hommage chaque année à cette date précisément, préférant écouter cet album en boucle plutôt que de me goinfrer de mennelles. Après tout, la pochette de cet album réalisée par Dave Patchett n’est-elle pas censée représenter les deux faces du monde, entre lumière et obscurité? Ce qui est tout à faire raccord avec le folklore autours de cette fête. 


Magnum opus, chef d’œuvre indépassé et indépassable, épitomé du genre, Forest of Equilibrium est tout ceci à la fois et, surtout, est et restera à jamais le meilleur album de Doom Metal de tous les temps.



A.Cieri

https://cathedral-band.bandcamp.com/album/forest-of-equilibrium

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