dimanche 6 août 2023

Paradise Lost - Shades of God

Music For Nations

14/07/1992




Shades of God, où l’album qui ne ressemble à nul autre dans la discographie de Paradise Lost, - à part peut-être, dans l’histoire récente du groupe et à bien des égards, Medusa, mais c’est là une autre histoire. Encore que l’on pourrait difficilement dire que les quatre premiers albums du groupe se ressemblent les uns aux autres, entre un Lost Paradise séminal à plus d’un titre, un Gothic qui fit œuvre d’ouverture pour tant de choses et un Icon qui allait mettre en avant les aspects plus mélodiques de la formation. Oui, mais voilà, celui-ci ne ressemble en rien à ce qui existait avant et ce qui existera par la suite pour les Anglais, mais peut-être pas seulement, car des albums tels quels, il n’y en a guère. Shades of God a cette saveur unique d’un album qui ne sait pas s’il doit choisir entre le doom death metal antique, le doom metal traditionnel, avec de grosses lampées de Trouble pour assaisonner tout cela, et quelques petites touches gothiques de ci, de là, même si elles sont moins proéminentes ici, à l’exception, bien évidemment, d’un As I Die, pour nous rappeler que l’amour de Milton n’est pas surfait ici. 


Mais comment donc qualifier cet album? Aventureux? Il l’est à bien des égards, notamment dans cette complexification des compositions, qui n’entrent pas toutes dans les mêmes schémas. L’on prend le temps ici de tisser des structures un peu plus tortueuses, avec breaks et contre-breaks, accélérations et ralentissements, sans oublier d’inclure, de temps à autres, des intermèdes acoustiques, rendant tout ceci à la fois plus suffocant et en même temps plus profond. L’on n’aura jamais connu Paradise Lost aussi étoffé dans sa manière d’écrire, laissant souvent la musique prendre le devant en laissant le chant de côté, pour autant de moments où la pesanteur du propos va être mise en exergue, quand ce n’est pas une facette plus intimiste. Écoutez Daylight Torn et sa construction admirable pour vous en rendre compte et se dire que voilà bien un titre que Mikael Åkerfeldt aurait tant aimé avoir écrit, sauf qu’il n’aura jamais ni le talent et ni la classe d’un Gregor Mackintosh et encore moins la faculté à faire passer des sentiments dépressifs et mortuaires dans ses growls, à contrario d’un Nick Holmes, - ce qui tend d’ailleurs à clore les débats sur Bloodbath. 


Automnal? Il y a de cela, aussi bien dans cette teinte cramoisie et froide qui se dégage des neuf titres, à la beauté froide, mais parfois hirsute, comme quelque chose qui fuit un peu la lumière et qui se prépare à la désolation des longues nuits d’hiver à venir. Il y a effectivement cet aspect du temps qui passe, inéluctable et tellement inexorable, amenant un peu plus à chaque instant vers la fatalité ultime. Sans doute n’est-ce pas pour rien que As I Die vient clôturer tout ceci. L’on ressent bien, à de nombreux instants, ces bouffées d’émotions qui prennent aux tripes avec ce ressentiment d’avoir brûlé une part de son existence et de se morfondre en regrets. Comment ne pas rester insensibles à ces coulées de tristesse émanant de ces leads majestueuses ou de ces arpèges qui apparaissent de manière fugace de temps à autres. L’on n’a pas ici le poignet folk et sensible des contes d’été, mais bien ce spleen authentiquement anglais, tout autant classe que dans la retenue, car l’on sait garder une part d’austérité, même lorsque l’on se met à nu. Mais pour autant, l’on passe souvent du jaune décrépit des feuilles à quelque chose de plus rubescent, lors de ces instants où une forme de rage, mais de celle qui précède le plus souvent le renoncement, vient poindre, comme sur Crying For Eternity et surtout sur Pity the Sadness - avec les frissons qui viennent vous couvrir l'échine dès cette introduction et ses « Morning » tellement libérateurs. 


Forestier? C’est là une teinte que l’on n’a point souvent rencontrée chez Paradise Lost. Et pourtant, c’est bien l’album qui sent tout autant l’humus que l’envie de se réfugier dans les profondeurs d’une forêt pour s’y recueillir, se recentrer sur ses douleurs et accepter sa simple condition d’homme, où toutes les senteurs vivaces sont aiguisées par la pluie qui vient de tomber, accentuant la décomposition des éléments. Mais cette forêt a quelque chose de sauvage et de non apprivoisée. Elle nécessite de prendre de nombreux chemins de traverse pour être découverte et il ne faudra pas avoir peur de se frotter aux ronces, ou bien de manquer de tomber au sol en s’étant pris les pieds dans des racines ensauvagées. C’est un long chemin de croix que nous avons ici mais l’on préfère s’abriter sous la pénombre de pins faussement alignés plutôt que de rechercher la lumière réconfortante et chaleureuse. En cela, l’on n’est pas si loin de cela de la forêt de l’équilibre et de ses psaumes proférés quelques mois auparavant par leurs compatriotes. L’on y retrouve un petit peu de ce même pessimisme et de cette même noirceur, même si, ici, les teintes ne seront pas les mêmes, et, évidemment toute forme de monolithisme et d’extrême lenteur sont absents. Mais pourtant, ce sont bien des sentiers assez similaires que l’on franchira ici, mais avec une autre forme de poésie.


Indispensable? C’est réellement là tout le bien fondé de ce Shades of God. Des ombres divines qui sont capables d’obscurcirent les journées les plus ensoleillées et d’apporter un voile d’obsidienne à toute lueur d’espoir. Car il y a ici cette essence même de ce qu’est le doom metal dans son acception la plus générale: cette musique des damnés de la terre, du jugement dernier, capable de mettre des mots et des notes sur les maux de cette humanité vouée au jugement dernier. C’est en tout cas l’album le plus doom metal de Paradise Lost, celui où l’on sent bien cette filiation entre ce pessimisme tout britannique, partagé avec bon nombre de ses contemporains, et ce côté désespéré tout autant hérité de The Skull de Trouble que d'un Candlemass dans ses moments les plus désolés. Pas aussi emblématique que d’autres éléments de sa riche discographie, il mérite pour autant une pleine et grande attention et reste toujours aussi pertinent malgré les décennies écoulées depuis sa sortie. Aussi, aurais-je pu le qualifier d’intemporel, de boisé, d’hirsute, s’il m’avait fallu le résumer en trois mots, évoquer la trame tragique qui l’anime et lui accoler le terme de classique pour encore mieux le définir. Mais je préfère garder en mémoire son authenticité et ses nombreux sombres mystères qu'il recèle et qui me fascinent toujours autant. 


A.Cieri

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